Rechercher
Fermer ce champ de recherche.

Fr

CHANGEMENTS CLIMATIQUES À L’HORIZON 2050, SCÉNARII D’ADAPTATION POUR L’AGRICULTURE

Les changements climatiques vont avoir des impacts « négatifs sur l’agriculture à l’échelle mondiale et risquent, d’ici à 2050, de baisser les rendements agricoles ». Réunis à Dakar du 22 au 27 février 2016 à Dakar, des chercheurs à l’expertise incontestée s’engagent sur les pistes en vue d’aboutir à des scenarii d’adaptation pour apporter la solution à ce phénomène.

omment sauver l’Agriculture des changements climatiques qui menacent la survie des centaines de millions d’individus ? Des experts ayant une expertise avérée ont trouvé une réponse géniale. Ces chercheurs d’Afrique, d’Amérique, d’Europe et d’Asie ont mis en place un projet destiné à analyser l’évolution des températures, des régimes pluviométriques en les mettant en rapport avec les pro- ductions céréalières, l’évolution des habitudes de consommation des populations et des traditions agricoles. Au nombre de deux cents en provenance de 18 pays répartis dans 7 équipes régionales de recherche, ces experts spécialistes du climat, de l’agriculture, des Tic, de l’économie, de la modélisation des cultures et de la modélisation économique ambitionnent de voir comment les producteurs doivent s’adapter aux impacts négatifs des changements climatiques dans l’agriculture à l’horizon 2050.

Baisse de rendement

AgMIP (Agricultural Model Intercomparison and Improvement Project), (Projet d’Inter-comparaison et d’Amélioration des Modèles Agricoles, en français), a pour objectif de mieux comprendre, sur la base de différents scenarii de développement socio- économique, comment la performance de l’agriculture de demain (2040-2069) sera impactée par le climat, et quels seront les bénéfices de différents paquets d’adaptation. «Les changements climatiques vont avoir des impacts négatifs sur l’agriculture à l’échelle mondiale et risquent, d’ici à l’horizon 2050, de diminuer les rendements agricoles», a déclaré Pierre Sibiry Traoré, chercheur à Icrisat Mali, chargé de piloter le projet en Afrique de l’Ouest. Démarré il y a trois ans dans sa première phase, AgMIP, sous le nom de Ciwara en Afrique de l’Ouest, est dans sa secon- de phase qui «prend fin en Mars 2017». Cette présente phase vient d’être lancée par 70 chercheurs en conclave à Dakar par un atelier international, du 22 au 27 février 2016, organisé par l’International Crops Research Institute for the Semi-Arid Tropics (Icrisat), en partena- riat avec l’Initiative prospective agricole et rurale (Ipar), chargé de pilo- ter le projet au Sénégal.

Au Sénégal, Nioro a été choisi

Le Sénégal est l’un des pays bénéficiaires de ce projet d’envergure internationale. En effet, cette présente phase concerne quatre zones : Nioro au Sénégal, Kouthiala au Mali, Navronga et Tamale au Ghana. Le choix de ces quatre zones n’est pas un hasard. Par exemple, dans la zone de Nioro, une étude a été faite en amont et a abouti à d’impor- tants résultats. «Nous avons mené des recherches sur la zone de Nioro et nous sommes fondés sur les résultats», a indiqué Pierre Sibiry Traoré de Icrisat. Selon lui, le choix était prioritairement motivé par la disponibi- lité de données socio-économiques qui permet de caractériser et stra- tifier la variabilité des conditions d’équipement des exploitations pay- sannes. «Nous avons toutes les informations socio-économiques néces- saires pour introduire les différents modèles (les modèles climatiques, de culture et économiques) avec lesquels on travaille et notamment pour comprendre dans quel contexte on doit développer des scénarii d’adapta- tion», a dit M. Traoré. «Nioro, d’abord, fait partie du vieux bassin de pro- duction arachidière du Sénégal. C’est une région agricole importante pour le pays. Ce genre de données de détail est nécessaire pour com- prendre comment les impacts du changement climatique et bénéfices de l’adaptation s’expriment à travers une population hétérogène d’exploita- tions. La Banque Mondiale à travers son initiative RuralStruc a produit, avec plusieurs partenaires sénégalais, une base de données de référence en 2007/2008», a expliqué Pierre Sibiry Traoré. Ce sont des données de la Banque mondiale sur lesquelles Ipar avait travaillé en 2007 et en 2008 dans cette zone. «C’est sur la base de ces données que nous avons essayé de faire les modélisations», a expliqué Ibrahima Hathie, directeur de la recherche à l’IPAR. A l’en croire, «à Nioro, après études, l’équipe de recherche s’est rendue compte que la pluviométrie va baisser d’ici à 2050, la température va augmenter considérablement entre 1,7° et 2,3°C. Et la conséquence est que les rendements vont baisser aussi bien pour le mil que pour l’arachide». A Nioro, a expliqué Pierre Sibiry Traoré, « nous quantifions les impacts du changement climatique sur deux scenarios de développement – l’un caractérise par la promotion d’une agriculture plu- tôt familiale enpetites exploitations centrée sur des principes d’intensifica- tion agro-écologique, l’autre davantage oriente sur la promotion d’une

agriculture dirigée vers les marchés urbains et des grandes agro-indus- tries de transformation ». D’après a appris le chercheur sénégalais Ibrahima Hathie, les scénarii sur les adaptations seront partagés avec les décideurs politiques afin qu’ils puissent prendre les devants.

Variété résistante

Selon Oumou Kalsoum Ly, spécialis- te environnementale à Usaid/Sénégal, dans les cas de défi- cit pluviométrique, la solution est de faire le choix d’une variété résis- tante, moins exigeante en eau ou encore d’une variété à cycle de développement court pour répondre à une saison des pluies raccourcie. «La pratique de l’agricul- ture de conservation par exemple est plus propice à la rétention de l’eau et de la matière organique par l’environ- nement de la plante. Dans certains cas, c’est le système racinaire de la

plante qui sera particulièrement efficace pour retenir l’humidité », a sug- géré Mme Ly. A côté des pratiques culturales qu’il faut mettre en place face aux changements climatiques, a ajouté Oumou Kalsoum Ly, il existe d’autres formes et moyens d’adaptation tels que le recours à l’assurance indicielle, à l’information climatologique et à la prévision météorologique.

Priorité

Pour la simulation des rendements proprement dite, la priorité est donnée aux principaux déterminants de la sécurité alimentaire de la zone en question, Nioro au Sénégal, dans les systèmes de production existants: maïs, mil, sorgho, arachide et bétail. «Cette priorité est la même pour les autres sites à l’instar de Koutiala (Mali) et de Navrongo (Ghana) et sa simulation est conduite par l’Icrisat et l’Université du Ghana, avec le support du Centre Régional Agrhymet », a expliqué M. Traoré. De son avis, les changements de préférence alimentaire des populations dans les années à venir pourront également déstructurer l’environne- ment socio-économique. «La nature de la production agricole va chan- ger dans les années à venir parce que les préférences alimentaires des gens vont changer. Les gens ne seront peut-être plus intéressés à manger du sorgho ou les cultures traditionnelles, mais ils vont peut-être plutôt manger, comme aujourd’hui, du pain au petit déjeuner parce que par le passé on mangeait de la bouillie ou d’autres préparations», explique-t-il.

Variations de rendement

Les sites d’application de l’évaluation régionale intégrée pour la pre- mière phase étaient les mêmes que ceux de la deuxième phase, mais avaient davantage mis l’accent sur l’analyse des données climatiques et leurs implications sur les rendements agricoles et les niveaux de revenus des agriculteurs. De l’avis du chercheur Pierre Sibiry Traoré, «le principal site pilote était Nioro, pour lequel les résultats obtenus (qui sont présentement en cours de révision) indiquaient trois observa- tions». Il s’agit d’«une trentaine de modèles de circulation générale (GCMs) qui indiquent une forte probabilité d’augmentation de la tem- pérature annuelle moyenne, estimée aujourd’hui à environ 3 degrés (haut degré de confiance) ». A cela s’ajoute « une trentaine de GCMs qui indiquent généralement une tendance à la baisse de la pluviomé- trie annuelle de l’ordre de 25% (projection médiane) avec cependant un faible degré de confiance. Il se pourrait aussi que la pluviométrie baisse plus modérément, plus fortement, ou ne change pas ». Et enfin, a-t-il dit, sans mesures d’adaptation spécifiques au climat, ces change-

ECONOMIE

ments se traduiraient par des variations de rendement oscillant entre

–22% et +11% pour le mil, -57% et –10% pour le maïs, -16% et +13% pour l’arachide. «L’application de mesures d’adaptation permettrait des rendements attendus de –1% à +43% pour le mil, -44% à +32% pour le maïs, et –4% à +27% pour l’arachide, a soutenu M. Traoré. La mise en œuvre de mesures d’adaptation telles que variétés tolérantes à la chaleur et à la sécheresse permettrait donc d’éliminer les impacts négatifs du changement climatique sur l’arachide et le mil, et de les réduire sur le mais qui demeurerait cependant fortement menace. Dans le même temps, on s’attend à ce que ces mesures d’adaptation augmentent les revenus des ménages de l’ordre de 10% ».

Riposte

Selon Cynthia Rosenzweig, l’investigateur principal du projet AgMIP, Ce projet de recherche pluridisciplinaire d’envergure mondiale implique des chercheurs américains, européens, africains et asia- tiques, spécialistes du climat, de l’agriculture, des Tic, de l’économie.

«Leur seule ambition est d’organiser la riposte aux impacts négatifs des changements climatiques dans l’agriculture à l’échelle mondiale», a dit Mme Rosenzweig. En Afrique de l’Ouest, AgMIP bénéficie d’un parte- nariat particulièrement dynamique et privilégié entre l’ICRISAT, IPAR, l’Université du Ghana, et le Centre Régional Agrhymet avec le support de multiples services nationaux météorologiques et de recherche agricole. C’est pourquoi, Selon Pierre Sibiry Traoré, au cours de la phase I, le projet n’a pas rencontré d’obstacle majeur, si ce n’est la rareté de ressources humaines qualifiées. Et l’équipe d’AgMIP a pris les disposi- tions nécessaires pour que cet obstacle mineur ne se répète pas dans la seconde phase. «Un effort dans la durée est requis pour former une nouvelle génération de jeunes modélisateurs qui combine connaissance du milieu local, compétences informatiques et compréhension des pro- cessus de développement, a-t-il informé. Des réflexions sont en cours pour l’intégration des protocoles AgMIP dans les curricula de formation académique des institutions universitaires partenaires au niveau master et doctoral». A l’en croire, l’application des Evaluations Régionales Intégrées AgMIP en Afrique et en Asie est financée par UKAid. «Lemon- tant cumulatif du financement pour les phases I et II en Afrique de l’Ouest uniquement est de USD 1 000 000», a révélé Pierre Sibiry Traoré, cher- cheur basé au Mali.

Pape Mayoro NDIAYE