Think tank sur les politiques publiques dans le secteur agricole et rural en Afrique de l’Ouest

Accueil / Nos Publications / Blog / Les 11 recommandations pour réussir l’application du visa statistique au (...)

Les 11 recommandations pour réussir l’application du visa statistique au Sénégal

Publié le 19 juin 2023

Le Ministre de l’Economie, du Plan et de la Coopération a signé, le 04 mars 2020, un arrêté relatif au visa statistique pour les enquêtes par sondage et recensements. En effet, le visa statistique est défini dans cette décision exécutoire comme : « une autorisation préalable, écrite, délivrée sur demande, par le Ministre en charge de la statistique à toute entité désireuse d’entreprendre une enquête statistique ou un recensement ayant une couverture nationale ou touchant au moins une région administrative entière du pays. Cette opération statistique doit respecter les normes et méthodes reconnues au niveau international. Le requérant doit déposer un dossier prouvant le respect des normes et indiquant la méthodologie à utiliser ».

L’objectif de ce présent article est de contribuer à éclairer les politiques visant à améliorer la coordination du système statistique national (SSN), la production et la diffusion des données statistiques.

Aperçu sur le contenu de l’arrêté

L’arrêté est organisé en deux chapitres portant sur l’institution et les conditions de délivrance du visa statistique, déclinés respectivement sur la base de sept (7) et dix (10) articles. Somme toute, il faut retenir que :

  • Les opérations prévues dans la stratégie nationale de développement de la statistique (SNDS) ne nécessitent pas de visa statistique pour être menées ;
  • Une commission des visas statistiques regroupant des cadres des structures du SSN sera mise en place ;
  • Les demandeurs de visa statistique doivent déposer au secrétariat de la commission des visas statistiques à I’ANSD un dossier en langue officielle comprenant les détails de l’enquête ;
  • Le délai de traitement des dossiers ne peut dépasser quinze (15) jours à compter de la date de transmission du dossier sans quoi le visa est automatiquement accordé ;
  • Les frais de dépôt des dossiers s’élèvent à deux cent cinquante mille (250.000) FCFA. Ces frais non remboursables sont payés au moment du dépôt du dossier ;
  • En cas d’avis favorable, le visa statistique définitif ne sera délivré qu’après paiement d’une redevance calculée sur la base du budget de l’enquête.

Les apports du visa statistique

Le visa statistique est d’une importance cruciale et sa mise en œuvre permettra au Système Statistique National de relever, en partie, les défis relatifs à l’organisation, à la coordination, au financement, au suivi du PSE et à la prise en compte de la décentralisation. En effet, il permettra de :

  • Donner une validité scientifique des enquêtes (par sondage et recensement) menées aux niveaux national et régional ;
  • Rendre officielles des données collectées en dehors du SSN ;
  • Centraliser des informations (ressources et bases de données) au niveau de l’ANSD qui est l’acteur central de production et de diffusion des données statistiques ;
  • Eviter la duplication des opérations tout en constituant un cadre d’échanges, de collaboration entre les acteurs et d’harmonisation des méthodes et outils ;
  • Mieux sensibiliser et rassurer les répondants sur l’importance des enquêtes et des données collectées qui ne seront utilisées qu’à des fins statistiques ;
  • Financer les activités de la statistique grâce aux redevances du visa.

Les manquements de l’arrêté

  • D’après la loi n° 2012-03 du 03 janvier 2012 modifiant et complétant la loi n° 2004-21 du 21 juillet 2004·portant organisation des activités statistiques, plus précisément, l’article 11 de la section 4 portant sur l’autorisation préalable (ou visa) pour les enquêtes et recensements, le champ du visa est le suivant :
    • Toute enquête (ou recensement) statistique des services et organismes producteurs de statistiques publiques doit être soumise à l’autorisation préalable (ou visa) du ministre chargé de la statistique.
    • Le visa ne peut être accordé que si l’enquête (ou le recensement) s’inscrit dans le cadre du programme statistique annuel
    • Le visa ne peut être accordé que si l’enquête est prévue par une loi spéciale ou si elle présente un caractère de nécessité et d’urgence indiscutable.
    • Les enquêtes réalisées par les organismes privés, commanditées par les services et organismes producteurs de statistiques publiques sont également soumises au visa.
    • L’inscription d’une enquête (ou d’un recensement) au programme statistique national tient lieu de visa.

De ce fait, les enquêtes menées par les centres de recherche, les Think Tank, les entreprises privées au compte d’un commanditaire privé ne sont pas incluses. On en déduit que les enquêtes nécessitant une autorisation préalable ne concernent que les statistiques publiques. Dès lors, un nombre négligeable d’enquêtes sera soumis au visa car les enquêtes figurant dans le programme annuel n’ont pas besoin d’approbation.

  • La mise en place d’une commission composée des structures membres du SSN constitue une entrave et un dispositif lourd à la promptitude des réponses qui devront être apportées aux demandes pléthoriques de visa s’il faut l’élargir à toute les catégories d’acteurs (Etat, OSC, privé, …) ;
  • Dans la définition du visa statistique, il est mentionné que toute opération statistique doit respecter les normes et méthodes reconnues au niveau international. Or, Il est important que les méthodologies validées aux niveaux national et régional, prenant mieux en compte les réalités locales, soient également considérées.
  • Un délai de traitement des enquêtes d’au plus 15 jours est juste au risque d’enregistrer un nombre élevé de visas délivrés sans examen au préalable. Par contre, il ne faudrait pas que ce dispositif soit vu comme une contrainte de temps supplémentaire des opérations de collecte ;
  • L’article 11 pourrait prêter à confusion en ce qui concerne les frais de dépôt de dossiers et la redevance qui sont deux frais distincts. La redevance devra être payée, une fois le dossier validé, pour que le visa soit délivré.
  • Une commission regroupant des parties prenantes issues d’horizons différents, risque de porter atteinte à l’objectivité devant entourée le traitement et la validation des dossiers. Il faudra bien étudier les risques de conflit d’intérêt et des traitements complaisants des dossiers.
  • Il est stipulé que le visa statistique n’est nécessaire que si l’enquête couvre au moins une région administrative. Cette disposition démontre la non prise en compte des enjeux actuels tels que l’acte III de la décentralisation et l’un des principes fondamentaux des Objectifs de Développement Durable (ODD) qui est de ne laisser personne pour compte. En effet, la commune est devenue la porte d’entrée de bon nombre de programmes et projets. Il serait injustifiable de passer à côté de ces opportunités de réponses à la demande de données désagrégées et localisées et qui pourraient aider à intégrer la Société Civile dans la collecte des données et mieux orienter les Collectivités Territoriales.
  • Le visa ne concerne pas les services publics ayant décliné leurs programmes d’enquêtes dans la Stratégie Nationale de Développement de la Statistique alors que l’octroi du visa pourrait permettre à l’ANSD non seulement d’avoir un œil scientifique sur la méthodologie utilisée, mais également de s’assurer du suivi du déroulement effectif des opérations prévues.

Recommandations générales

L’examen détaillé de cet arrêté et des différents textes entourant le Système Statistique National permet de formuler les recommandations suivantes :

  1. Généraliser l’autorisation préalable à toute entité productrice de données qu’elle soit publique ou privé. Ce qui implique la révision de la loi n° 2012-03 du 03 janvier 2012.
  2. Mise en place d’une entité pérenne pour l’octroi du visa au sein de l’ANSD. Cette entité pérenne pourrait être une division du visa statistique au sein de la CPCCI qui devrait être érigée en Direction avec des ressources humaines expérimentées. Une Commission ad hoc d’examen des dossiers de demande de visa, peut avoir des limites dans son fonctionnement en termes de disponibilité des membres issus du SSN impliqués par ailleurs dans d’autres activités. Compte tenu des délais de traitement définis, cette situation risque d’augmenter le nombre de visas octroyés d’office sans examen des documents méthodologiques ;
  3. Elargir le visa statistique aux opérations de collecte couvrant même une seule commune afin de mieux répondre aux exigences actuelles de « Leave No One Behind » ;
  4. Mettre en place d’un système informatique de gestion des dépôts et de traitement des dossiers qui devront être anonymes afin d’éviter les conflits d’intérêts et prises de parti ;
  5. Vulgariser l’arrêté, surtout auprès des autres acteurs hors du SSN sur la base d’un plan de communication bien élaboré ;
  6. Organiser des sessions de formations sur le portail de dépôt des dossiers afin d’informer, de sensibiliser et de renforcer les capacités des parties prenantes ;
  7. Inclure impérativement le tirage et la mise à disposition de l’échantillon de l’enquête en question par l’ANSD afin de mieux justifier et légitimer la redevance instaurée. Car, une redevance est une taxe due en contrepartie de l’utilisation d’un service public ;
  8. Fixer le taux de redevance du visa statistique à 1% au lieu de considérer des intervalles qui poseraient un problème d’équité surtout pour les enquêtes à modestes budgets.
  9. Impliquer les Services Régionaux de la Statistique et de la Démographie dans les missions inopinées sur le terrain pour s’assurer du bon déroulement de l’opération statistique conformément à la méthodologie autorisée ;
  10. Exiger la demande de visa aux services publics dont les enquêtes sont dans la Stratégie Nationale de Développement de la Statistique même si les frais de dossier et les redevances ne leur seront pas appliqués ;
  11. Mettre en place un comité de pilotage réunissant l’ensemble des acteurs concernés afin de réfléchir sur les différentes remarques supra, la gouvernance du visa statistique et veiller à la transparence de la gestion des redevances collectées.

Auteur : Cheikh FAYE, chargé des études statistiques et données à l’IPAR
Date de publication : 2020