Résilience face au changement climatique : IPAR et AgMIP évaluent les besoins en informations scientifiques pour orienter les politiques et les programmes agricoles au Sénégal
Le Sénégal, à l’image de beaucoup de pays sahéliens fait face à une vulnérabilité croissante aux effets du changement climatique, dans un contexte de sécheresse de variabilité pluviométrique et de dégradation des ressources naturelles. Le secteur agricole est particulièrement exposé. Pourtant, il demeure la base de la sécurité alimentaire et de l’emploi.
Face à ces défis, l’intégration des données scientifiques dans les politiques publiques est non seulement un impératif mais aussi une opportunité, un levier essentiel pour orienter la planification, appuyer la prise de décisions à tous les niveaux et renforcer la résilience des systèmes agricoles.
Cette problématique était au centre d’un atelier organisé par IPAR Think Tank, à Dakar le 27 mai 2025. L’évènement qui a regroupé les acteurs du climat et du secteur agricole, entre autres, avait pour objectif principal de promouvoir l’utilisation des informations scientifiques issues des modèles climatiques, agricoles et économiques dans les politiques et programmes nationaux du Sénégal.
Plus spécifiquement, il s’agissait de :
Présenter les résultats préliminaires d’une étude menée par IPAR, en collaboration avec le projet AgMIP (Agricultural Model Intercomparison and Improvement Project), pour identifier et caractériser les besoins des décideurs et responsables politiques en informations scientifiques et en données enrichies ;
Compléter et valider les informations concernant les besoins prioritaires des politiques et programmes agricoles en matière d’informations scientifiques spécifiques à l’action climatique (adaptation et atténuation) ;
Identifier différents canaux de partage d’informations scientifiques existants.
Les évidences scientifiques, un levier pour optimiser la résilience des systèmes agricoles et l’adaptation au changement climatique
Le Gouvernement du Sénégal a engagé depuis 2015 l’élaboration de son Plan National d’Adaptation (PNA), afin d’intégrer l’adaptation au changement climatique dans ses politiques, programmes et stratégies de développement (PNA agriculture, 2025). Par ailleurs, à travers la CDN (Contribution Déterminée au Niveau National) le pays met en œuvre des mesures d’atténuation dans divers secteurs, notamment l’agriculture, la foresterie, l’énergie, les déchets et l’industrie. L’objectif poursuivi est de réduire drastiquement les émissions de gaz à effet de serre à l’horizon 2030.
Toutefois, l’efficacité et l’efficience de ces politiques, programmes et stratégies se heurtent à plusieurs défis parmi lesquels la disponibilité et l’accessibilité des données météorologiques et de l’information climatique.
Ces informations scientifiques constituent pourtant un intrant essentiel dans la prise de décision et la planification de l’action climatique. Les données scientifiques fournissent des bases pour comprendre les mécanismes du changement climatique, ses impacts potentiels et les différentes options d’actions.
L’atelier a servi de tribune pour échanger sur les moyens de rendre les résultats issus de la recherche plus accessibles. Il s’avère qu’il y a un réel besoin de renforcement de capacités des décideurs pour mieux appréhender ces résultats. Il est noté que la recherche est parfois présentée, de façon complexe, avec des formules, chiffres et graphiques difficiles à interpréter. Par ailleurs, les résultats sont parfois à des échelles qui n’intéressent pas forcément les décideurs. Il a été également relevé le fait qu’il y ait énormément de recherches qui se font au Sénégal sur le changement climatique en lien avec l’agriculture mais que ces travaux restent généralement inaccessibles car entre les mains des chercheurs ou de ceux qui ont commandité ces études. Il y a très peu de synergie entre les chercheurs et entre les structures de recherche pour que ces résultats soient partagés et accessibles à tous.
« La recherche se doit d’accompagner, grâce aux avancées scientifiques, la définition des choix des politiques publiques. Elle doit jouer un rôle multiple que ça soit en matière de suivi des aléas des impacts climatiques, d’évaluation de la vulnérabilité mais aussi de proposition de solutions et d’innovations technologiques permettant aux populations de s’adapter aux modifications environnementales. Les informations issues de la recherche permettront d’alimenter l’élaboration de projets climatiques reposant sur des évidences scientifiques très claires pour la résilience du secteur agricole et des communautés ». M. Ousseynou Ndione, représentant du Ministère de l’environnement et de la transition énergétique (chargé de projet au niveau de la direction du changement climatique, de la transition écologique et des financements verts).
« Nous sommes aujourd’hui dans une conjoncture mondiale qui peut paraitre défavorable au climat, avec les politiques qui se détournent du climat. Mais c’est dans ce contexte que notre engagement doit être particulièrement fort pour s’assurer que les politiques ne soient pas politiciennes mais basées sur des évidences, des données probantes. Il est essentiel de poser les cadres d’aide à la décision qui va permettre de transformer la recherche en actions concrètes pour les décideurs (autorités publics, producteurs, acteurs du privés, acteurs territoriaux…). Au-delà de produire de façon pratique des informations contextualisées que les décideurs pourront utiliser, il est aussi important d’avoir une bonne compréhension de la demande de ces décideurs en informations, pas seulement ce que la recherche considère être important, ou encore ce qu’elle sait produire avec les outils qu’elle a, mais de faire le lien entre les besoins réels des décideurs et ce que la recherche est capable de faire ».
Dr Laure Tall, directrice de recherche à IPAR Think Tank
« La question de l’appropriation des résultats de la recherche se pose avec une certaine acuité au Sénégal. Il est important de traduire les résultats de la recherche en termes simples facile à utiliser par les décideurs, de les traduire en notes politiques plus faciles à lire. Il faut également renforcer la collaboration entre décideurs et chercheurs pour qu’on puisse avoir une idée sur la commande dès le début, sur les besoins des politiques. Il importe aussi d’accroître les financements pour doter la recherche d’infrastructures de qualité ».
Dr Adama Faye, chercheur à l’ISRA
Impliquer tous les secteurs dans la planification pour des politiques agricoles et une action climatique plus inclusives
L’atelier a également servi de cadre pour plaider en faveur d’une approche plus inclusive dans la planification de l’action climatique et des politiques agricoles. Cela implique d’associer les acteurs de tous les secteurs possibles dans les processus de planification, d’élaboration de programmes et de stratégies et de mettre en place des solutions qui répondent aux défis de chaque secteur.
« Si l’agriculture, la science, le climat se réunissent pour discuter et que la nutrition n’y est pas, les problématiques nutritionnelle et les besoins de la nutrition ne seront pas pris en compte. On aura des politiques agricoles qui auront des résultats en termes de rendements, de volume de production mais en termes d’impact sur la nutrition des populations, il y aura problème. Il faut faire en sorte que chaque hectare aménagé puisse être un levier pour un accès équitable à une alimentation saine, diversifiée et nutritive. Nous avons besoin que la nutrition soit mieux prise en compte dans tous les évènements et toutes initiatives liées au climat. Il faut que les indicateurs proposés puissent permettre de dire comment la production agricole a impacté sur les carences nutritionnelles, la malnutrition aigüe, la consommation alimentaire ».
Mme Aminata Diop Ndoye, Secrétaire Exécutive du CNDN
Le MASAE vient de valider son Plan National d’Adaptation (PNA/agriculture). Et actuellement, la stratégie de mise en œuvre de ce plan et le plan d’action sont en cours d’élaboration. Lors de l’élaboration de ce PNA, le modèle utilisé n’intégrait que les paramètres agronomiques et il y avait d’énormes difficultés pour saisir le lien entre le changement climatique et les questions de genre et de vulnérabilité. Nous allons aussi élaborer un PNA élevage et la recherche a un vaste chantier à explorer pour nous aider à avoir des données sur ces aspects sociaux ».
Mme Mbacké, Représentante du MASAE
AgMIP : un réseau de chercheurs pluridisciplinaires engagés dans la co-construction de scenarios pour l’avenir de l’agriculture
L’objectif du projet AgMIP est de produire des données issues de la modélisation afin d’éclairer les décisions en matière d’adaptation et d’atténuation face au changement climatique. Ce réseau international, regroupant plus de 1000 experts en climat, agriculture, économie et nutrition, dont une centaine en Afrique, fournit aux décideurs des informations scientifiques essentielles pour concevoir des politiques, planifier des programmes et orienter les investissements.
Son approche est basée sur la recherche collaborative et la co-construction avec des modèles intégrés (climat, production agricole, élevage, l’économie, prise de décision, besoins humains, etc.). AgMIP teste également les stratégies d’adaptation afin d’évaluer les impacts du changement climatique et d’autres facteurs sur la production agricole, la sécurité alimentaire et la pauvreté.
Au Sénégal, le projet a travaillé sur le développement de trajectoires représentatives de l’évolution de l’agriculture (RAPS) au niveau national et régional, à Nioro particulièrement (centre du Sénégal). Les trajectoires qui ont été identifiées ont été validées et stimulées et certains ont été utilisées pour les plan nationaux d’adaptation (PNA) via les contributions déterminées nationales (CDN).