JPE-Saint-Louis 2025 : la région Nord mise sur la valorisation du potentiel entrepreneurial des jeunes et des femmes pour son développement
Du 15 au 16 mai 2025 la ville de Saint-Louis (Sénégal) a vibré au rythme des JPE. Ces Journées de Promotion de l’Entrepreneuriat, initiées par la DER/FJ en partenariat avec IPAR Think Tank, visaient à stimuler la création d’emplois, en particulier pour les jeunes et les femmes, et à échanger sur les voies et moyens de valoriser le potentiel économique (secteur primaire surtout) de la Zone Nord du Sénégal.
Le programme des JPE était structuré autour de panels afin d’échanger autour des défis de l’entrepreneuriat, de cours magistraux (Masterclass) sur des outils et des approches pouvant apporter une plus-value importante dans les initiatives entrepreneuriales des jeunes et des femmes (utilisation de l’IA, Pitching, etc.), de séances de réseautage, d’une exposition de produits locaux, etc.
Les JPE étaient présidées par le Gouverneur de la région de Saint-Louis, M. Alassane Sall qui a magnifié la présence massive des jeunes et des femmes, venus saisir cette importante opportunité d’apprendre afin de devenir de vrais entrepreneurs mais surtout de contribuer à la réflexion sur la valorisation du potentiel économique de la zone Nord. Les JPE ont également été réhaussées par la présence effective du délégué général de la DER/DJ Dr Aissatou « Aïda » Mbodji qui a insisté sur la priorité accordée à l’entrepreneuriat par le Gouvernement du Sénégal dans les orientations politiques nationales.
« L’Etat du Sénégal, sous la haute inspiration du Président de la République, a placé l’entrepreneuriat au cœur de son projet de transformation économique et social. L’entrepreneuriat y est bien plus qu’une réponse conjoncturelle à la question de l’emploi. Il est un levier de transformation structurelle, un outil de souveraineté économique, un vecteur d’équité sociale ».
Dr Aissatou « Aida » Modji, délégué général de la DER/DJ.
Dr Cheikh Oumar Ba, directeur exécutif de IPAR Think Tank, intervenant à l’ouverture des journées, recommande de relever deux défis majeurs si on veut stimuler l’entrepreneuriat jeune. Ces défis sont :
« La rationalisation des interventions. Il y a beaucoup d’acteurs sur le terrain dont les interventions se chevauchent, limitant ainsi leur portée » ;
« Ecouter davantage les jeunes, leur accorder l’attention qu’il faut pour mieux prendre en compte leurs aspirations et besoins. »
Faire de la jeunesse un levier de création de valeur, d’innovation et de transformation durable dans les secteurs clés de l’économie locale
Un premier panel a permis de pousser la réflexion sur les « enjeux et perspectivesdel’entrepreneuriat des jeunes dans les secteurs clés que sont l’agriculture, l’élevage, la pêche et l’économie verte » et de poser un diagnosticsans complaisancesur les problèmes qui minent l’entrepreneuriat des jeunes dans la région de Saint-Louis.
Faisant le cadrage de ce panel, M. Alassane Seck, Responsable des politiques agricoles à IPAR Think Tank et expert en chaine de valeur et développement rural, a rappelé que près de 70% des habitants de la région ont moins de 35 ans, ce qui fait de la question de l’emploi et de l’insertion des jeunes un enjeu crucial. Le chômage et le sous-emploi y sont élevés, poussant une partie de la jeunesse à l’exode rural ou à l’émigration.
Paradoxalement, il est relevé que la région de Saint-Louis dispose d’atouts remarquables avec une agriculture irriguée dynamique dans la Vallée du Fleuve Sénégal, des ressources halieutiques importantes, tant maritimes que fluviales, un potentiel pastoral non négligeable, notamment dans la zone de Podor. A cela s’ajoute, un capital naturel propice à l’économie verte, avec ses zones humides, sa biodiversité, son potentiel solaire, etc.
Évoquant les Verrous à lever pour libérer le potentiel entrepreneurial des jeunes, M Seck cite :
Un capital humain sous-exploité. Les jeunes disposent de compétences, d’aspirations et d’une énergie créative, mais sont freinés par un environnement institutionnel, technique et financier peu favorable ;
Une économie informelle dominante avec plus de 90% des jeunes actifs opérant dans des secteurs non structurés, sans protection sociale, sans accès au crédit, et avec des revenus faibles et instables ;
Les inégalités territoriales persistantes. Les dynamiques entrepreneuriales sont concentrées dans les centres urbains, marginalisant les potentiels des territoires ruraux, notamment dans l’agriculture, l’élevage et la pêche.
En termes d’orientations stratégiques pour valoriser le potentiel agricole des jeunes à Saint-Louis, il est préconisé de :
Lancer un plan régional « Agriculture & Jeunesse » avec un cadre multi-acteurs incluant collectivités, SAED, OP, incubateurs et jeunes entrepreneurs ;
Soutenir les startups agri-digitales avec des concours d’innovation et du capital amorçage ;
Développer des clusters territoriaux de jeunes agri-preneurs, adossés à des chaînes de valeur porteuses (riz, oignon, tomate, lait, etc.) ;
Mettre en place des incitations fiscales ou foncières locales pour les jeunes investisseurs agricoles.
L’entreprenariat inclusif, durable et porteur de croissance : la clé pour l’autonomie économique des femmes et des jeunes filles
Un second panel sur « Autonomisation des femmes et dynamiques coopératives » a offert l’occasion d’échanger sur « comment les dynamiques coopératives contribuent à l’autonomisation économique et sociale des femmes en leur permettant de bénéficier d’opportunités économiques, de développer leurs compétences, et de prendre des décisions concernant leur avenir ?».
Ndeye Fatou Cissé, Experte genre a saisi l’occasion de ce panel pour partager quelques résultats du processus des Assises de l’entrepreneuriat féminin et de l’autonomisation des femmes (Sénégal) qu’elle a coordonné pour le compte de IPAR Think Tank (partenaire de la DER dans ce processus).
Les objectifs assignés à ces assises étaient de :
Faire l’état des lieux des politiques publiques et dispositifs d’appui à l’entreprenariat et à l’autonomisation économique des femmes ;
Documenter les potentialités, les opportunités en faveur de l’entreprenariat féminin et de l’autonomisation des femmes ;
Célébrer les modèles de réussites dans les filières propres à chaque zone ;
Identifier des pistes d’action pour rendre efficaces et efficientes les politiques publiques en matière d’entreprenariat féminin et de l’autonomisation des femmes.
Il est ressorti de ce processus participatif qui a couvert 7 pôles territoriaux et adressé des thématiques transversales telles que l’accès aux ressources financières, foncières, à la formation, au marché, les normes socio-culturelles, que l’entrepreneuriat féminin est confronté à de nombreux goulots.
Il est rapporté que les femmes sont très faiblement représentées dans le secteur formel, encore largement dominé par les hommes. Les femmes sont seulement 31,3% des propriétaires d’entreprises formelles et contribuent à hauteur de 24,5% à la valeur ajoutée du secteur formel principalement soutenue par le secteur tertiaire, tandis que 94,1% des femmes entrepreneures sont dans le secteur informel.
Les difficultés pour écouler la production, le manque de local adapté, l’accès difficile au crédit, les impôts et taxes élevés, les difficultés d’accès à la commande publique, les formalités administratives contraignantes, les difficultés d’approvisionnement en énergie et la corruption représentent les principaux obstacles des femmes pour entreprendre librement.
Dans le secteur agricole, au niveau national, les femmes ne sont que 11,1% des responsables de parcelles agricoles. Ces statistiques sont révélatrices de la forte disparité soutenue par les inégalités de genre et les pratiques discriminatoires dans l’accès des femmes au foncier. En dépit de tout, la contribution de l’entreprenariat féminin dans le secteur agricole informel s’élève à 458,4 milliards en termes de valeur ajoutée soit 27% du secteur agricole informel (ANSD, ONU Femmes, 2022.)
Par ailleurs, les normes de genre inhibent l’éveil entrepreneurial chez les femmes quand on sait qu’elles sont astreintes à faire 40 heures par semaine au travail non rémunéré contre 5 heures chez les hommes. Elles sont les plus concernées par les violences et abus sexuels et les violences basées sur le genre qui touchent particulièrement les employées de maison, les commerçantes transfrontalières etc.
Les femmes sont nombreuses à s’organiser en GIE, en coopératives, en associations mais peinent à développer et à se maintenir dans des dynamiques entrepreneuriales avec des modèles économiques viables.
Enfin, malgré les nombreuses réformes politiques et l’adoption de lois et d’instruments juridiques destinés à promouvoir l’égalité entre les hommes et les femmes, l’autonomisation des femmes et la réduction des inégalités (loi sur la parité, SNAE, SNEEG, etc.), celles-ci peinent toujours à développer un leadership fort dans l’écosystème de l’entreprenariat au Sénégal.
Les assises recommandent pour le pôle territoire de Saint Louis en lien avec les filières maraichage, riziculture, pêche, de :
Renforcer le niveau d’accès des femmes à la terre avec des aménagements de qualité et le respect des quotas qui leur sont spécifiquement dédiés (20%) ;
Prendre en compte dans le programme d’appui prévu, les secteurs de l’élevage et de la pêche (équipements de production, de transformation et de conservation, crédits, formations, accompagnement etc.) ;
Donner une bonne place aux femmes dans les opportunités tirées de l’exploitation gazière (contenu local, RSE) ;
Faciliter l’accès aux ressources en eau avec des irrigations structurantes (canal du Gandiolais, cours d’eau à Podor et irrigations à Dagana) ;
Faciliter l’accès aux énergies alternatives pour baisser les coûts de production (trop élevés) ;
Faciliter l’accès à des crédits adaptés aux capacités des femmes avec des taux allégés, des différés (6 mois) et des durées de crédit (2 ans au moins) suffisantes
Les coopératives peuvent être des cadres de transformation sociale, des leviers d’autonomisation pour les femmes, à condition toutefois qu’elles donnent la primeur au renforcement de capacité et dépassent les logiques de financement à court terme en privilégiant les financements sur le long terme. Cette question a été adressé par M. Aboubakry Diallo, Coordonnateur de IPAR Podor qui a également pris part au deuxième panel. Il a insisté sur la nécessité d’orienter les femmes sur les principes de fonctionnement d’une coopérative. Selon lui, leurs services ne sont pas bien définis et sont souvent confondus à ceux des GPF. Il est important qu’une coopérative soit sectorielle pour être efficace, a précisé M. Diallo avant de souligner que la dimension entrepreneuriale doit être mise en exergue. Par ailleurs, dans le management, il recommande de dissocier la gestion opérationnelle (avoir une équipe dédiée) de la gestion politique (conseil d’administration).
D’autres intervenants sont revenus sur les problèmes d’accès à l’information que les outils digitaux peuvent valablement pallier. Il est préconisé de faciliter l’accès aux plateformes digitales (mobile money) pour promouvoir l’épargne, démocratise l’accès à la formation (en ligne), mais également pour des commandes de produits en ligne ou encore le marketing digital. En somme, grâce à l’agriculture connectée, il est possible de rendre le métier d’agriculteur plus attrayant.
Chérif Sambou Bodian, chargé de projet de plaidoyer a modéré la Masterclass sur « innovation, IA et technologie dans le secteur primaire ».