Evictions, relocalisations, arrangements fonciers
et justice socio-spatiale au Sénégal
Problématique : Justice foncière, pertes en terres et compensations
Que ce soit dans les infrastructures de transports, dans les lotissements, dans les zones industrielles ou l’agrobusiness, ou dans le développement minier, les multiples investissements liés aux politiques de développement ont une emprise forte sur les territoires et induisent des pertes de terres agricoles importantes pour les occupants des espaces concernés, parfois des déplacements d’habitations. Du fait de l’érosion côtière, des habitants doivent être relocalisés, de façon volontaire ou forcée. Ces différents processus ont en commun d’impliquer des pertes en terres pour les populations concernées, avec des compensations (par relocalisation et/ou par indemnisation) qui sont le plus souvent bien en deçà des préjudices subis. Cette situation est à la source de nombreux conflits, et suscite des mobilisations pour tenter de s’opposer aux dépossessions ou revendiquer des indemnisations décentes.
Légales ou non, les dépossessions liées aux investissements sont perçues comme injustes par les personnes qui en sont victimes. De fait, elles posent la question de la répartition des terres entre les acteurs et entre les activités, celle de la répartition des coûts et des bénéfices des investissements entre citoyens et entreprises, ou entre citoyens, mais aussi celle de la façon dont les décisions d’aménagement sont prises et dont les citoyens impactés et leurs droits sont ou non pris en compte, dont les préjudices sont compensés. Ces questions relèvent du champ des débats sur la justice, justice distributive pour les deux premières, justice procédurale pour la troisième. Elles sont porteuses d’enjeux forts en termes de politique.
L’objectif du projet de recherche « Justice foncière » est de produire des travaux de recherche comparatifs sur les processus de dépossession foncière, leurs causes et leurs conséquences pour les familles impactées, sous l’angle novateur des enjeux de justice socio-spatiale et environnementale. Le projet de recherche cherche ainsi à articuler quatre thèmes complémentaires déclinés en quatre entrées thématiques.
Quatre entrées thématiques complémentaires
1- Changements des modes d’accès à la terre, arrangements marchands et exclusions en milieu rural et péri-urbain
Les arrangements fonciers, appelés aussi délégation de droits, impliquent des transferts temporaires de droits fonciers (accès et usage) entre propriétaires fonciers légitimes et exploitants. Ces arrangements n’aboutissent pas nécessairement à une formalisation légale mais visent plutôt à établir une reconnaissance des droits et obligations des parties prenantes. La recherche analysera si les arrangements fonciers peuvent offrir les conditions d’une convention juste, prévisible et sécurisée entre exploitants, particulièrement agro-business et propriétaires. Elle questionnera les types d’arrangements, les processus, modalités et risques ainsi que le jeu des acteurs.
2- Dépossessions et recompositions foncières face à l’urbanisation : le cas de la périphérie dakaroise
L’expansion rapide de Dakar induit une compétition dans la conversion de l’espace périphérique occupé par des villages y exerçant encore des activités agricoles. Les tensions résultent d’opérations de dépossessions ou de tentatives de dépossession des acteurs locaux par des projets publics et privés d’aménagement et de lotissements urbains. La recherche permettra d’adresser les enjeux de justice socio-spatiale à l’œuvre ainsi que les dynamiques de mobilisation sociale et de lutte des possesseurs fonciers et des communautés, avec un accent sur les projets d’aménagement urbain La recherche analysera en particulier comment les dynamiques foncières engendrées par les pôles urbains influent sur les marchés fonciers des communes.
3- Impacts territoriaux et fonciers de l’expansion des activités minières, industrielles et artisanales
Par la diversité de ses échelles et de ses formes d’exploitation, l’expansion des activités minières entraîne des dommages environnementaux significatifs difficilement maîtrisables (pollution, déforestation…), tout en ayant des effets socio-spatiaux contrastés. Elle peut favoriser le développement local mais induit une transformation de l’espace et une perte de contrôle par les populations locales, induisant un sentiment d’injustice foncière. Notre travail analysera la place des dimensions foncières et environnementales dans les conflits liés à l’expansion des activités minières, aux dépossessions foncières à grande échelle ainsi qu’aux opérations de déplacement de population subséquentes.
4- Reconfigurations des littoraux sénégalais face aux risques côtiers : déplacements et relocalisations des populations
Les risques côtiers se sont aggravés par une forte érosion côtière qui induit une relocalisation forcée ou volontaire, spontanée ou organisée stratégiquement des agriculteurs et des habitants impactés. La recherche explorera les stratégies individuelles et collectives d’adaptation aux pertes en terres liées à l’érosion côtière, et en particulier les conditions de vie dans les sites de réinstallation, les incidences du déplacement sur les situations socio-économiques et conditions de vie ainsi que sur les stratégies de résilience individuelle, familiale et communautaire, la perception des impactés sur les reconfigurations territoriales ainsi que sur la portée des stratégies étatiques de relocalisation
Un dispositif de recherche pluridisciplinaire, une démarche « science/société »
Le projet rassemble une équipe pluridisciplinaire (sociologues, géographes, juristes) d’enseignants chercheurs et de doctorants de trois structures d’enseignement supérieur (l’Université Gaston Berger, l’Université Cheikh Anta Diop, l’Ecole nationale supérieure de Thiès), d’un institut international de recherche (l’IRD) et d’un think tank spécialisé sur les politiques agricoles et foncières (IPAR) et l’animation du dialogue politique autour de ces enjeux.
Le projet contribuera à la formation d’une génération de jeunes chercheurs et chercheuses (6 doctorants), à travers le soutien à des recherches doctorales, dans une logique combinant recherche fondamentale et recherche-action. Il offrira un cadre d’échanges scientifiques, associant une douzaine de chercheurs de différentes universités du Sénégal et parties prenantes des enjeux fonciers tout en alimentant le débat public dans un contexte où les nouvelles autorités de l’État sénégalais ont montré leur volonté de rouvrir le dossier de la réforme foncière. Un comité de pilotage et de suivi avec des représentants des pouvoirs publics et de la société civile sera mis en place pour une co- construction de toutes les étapes du processus de recherche- action.