L’Étude régionale sur les marchés fonciers ruraux en Afrique de l’Ouest et les outils de leur régulation.
Les quatre fiches d’expériences réunies ici constituent le volume III de l’Etude régionale sur les marchés fonciers ruraux en Afrique de l’Ouest et les outils de leur régulation, commanditée par l’UEMOA et réalisée entre juin 2016 et juin 2017. Ce volume complète le rapport principal (volume I) et les annexes (volume II).
L’extension, parfois rapide, des transactions foncières marchandes dans de nombreuses zones rurales d’Afrique de l’ouest pose de nombreux défis pour les politiques agricoles et foncières, tant en termes d’équité et d’efficacité économique, qu’en termes de risques économiques et sociaux. L’avenir des sociétés rurales, l’équilibre entre agriculture familiale et agro-business, mais aussi les dynamiques de migration et d’exode rural, la sécurité alimentaire en dépendent en partie. Tout comme les investissements dans l’agriculture, les marchés fonciers ruraux ne devraient pas remettre en cause les droits fonciers des populations locales. Des marchés fonciers ruraux fonctionnels, sécurisés et régulés peuvent profiter aux économies locales et nationales, au lieu de favoriser la concentration des terres et l’expulsion de nombreux producteurs et villageois.
Pour répondre à sa mission d’assistance aux Etats, l’UEMOA a souhaité disposer d’une étude de référence, permettant d’alimenter la réflexion sur les marchés fonciers ruraux, d’en comprendre la diversité et les dynamiques, de cerner les problèmes de régulation qu’ils posent et les risques qu’ils induisent. L’étude a été construite sur une double dimension :
- une dimension d’état des lieux des marchés fonciers ruraux en Afrique de l’ouest, de leurs dynamiques, des problèmes de régulation, en vue de disposer d’une analyse des réalités des marchés et de leurs enjeux, mobilisant l’état des connaissances scientifiques et de l’expertise, à travers la prise en compte des différents types de marchés fonciers, au niveau de « l’achat-vente » et de « la délégation de droits » ;
- une dimension d’appui à la réflexion prospective sur la question de la régulation. A partir de l’identif ication des enjeux et des attentes, il s’est agi de mettre à disposition des acteurs des politiques foncières en Afrique de l’ouest, un cadre de réflexion sur les pistes de régulation, d’identifier la gamme des solutions disponibles, au niveau de l’Afrique de l’Ouest, mais plus largement à l’échelle mondiale, et de proposer une analyse de leurs conditions de pertinence et d’effectivité.
En effet, du fait de la spécificité de la terre et des ressources naturelles, des enjeux économiques liés à leur contrôle, des carences de l’environnement institutionnel, des asymétries entre « preneurs » et « cédants », le jeu « spontané » des marchés fonciers produit rarement un optimum économique et social. La plupart des Etats ont, parfois de longue date, mis en place des mesures visant à modifier les règles du jeu, pour orienter la dynamique des marchés fonciers en conformité avec leurs politiques économiques et sociales, dans un but d’équité et d’efficacité économique.
Pour contribuer à cette réflexion prospective, des expériences de régulation des marchés fonciers particulièrement significatives, mises en œuvre en Afrique ou ailleurs dans le monde, ont été identifiées dans le cadre de cette étude, et quatre d’entre elles, sélectionnées lors de la réunion du Groupe Technique sur le foncier de l’UEMOA, ont fait l’objet d’une analyse détaillée.
Un « instrument » ou un « outil » de régulation peut être utilisé dans différents cadres institutionnels (la régulation des fermages, le droit de préemption par exemple). L’effectivité d’un outil n’est pas intrinsèquement liée à sa nature, elle dépend avant tout de comment il est mis en œuvre, dans quel contexte et quels rapports de force, dans quel cadre légal et institutionnel. On ne peut donc séparer les outils des dispositifs chargés de les mettre en œuvre. De plus, un même « instrument » peut avoir été utilisé par différents pays, à différentes époques, et dans différents contextes sociaux, institutionnels, économiques, etc. Il aura le plus souvent été associé à d’autres instruments de régulation dans le cadre d’une politique foncière spécifique. L’analyse critique de sa mise en œuvre dans le pays qui l’a adopté devra bien sûr en tenir compte.
Pour toutes ces raisons, on ne peut analyser un instrument pour lui-même, en dehors du contexte qui lui a donné naissance, des enjeux auxquels il devait répondre, du cadre politique et institutionnel de sa mise en œuvre. Ce sont ainsi des expériences de mise en œuvre d’un instrument qui sont analysées ici, expériences situées dans l’espace et dans le temps. Ce ne sont en aucun cas des modèles qu’il s’agirait de transposer. Ce sont des illustrations pour alimenter et approfondir la réflexion en cours sur les instruments de régulation qui pourraient être pertinents dans les différents pays de l’UEMOA et qu’il appartient aux Etats, à leurs organisations paysannes, de négocier, de définir et d’expérimenter.
Un cadre conceptuel et une typologie des outils de régulation.
L’étude réalisée pour l’UEMOA, dans sa dimension prospective sur la régulation, a permis de définir un cadre conceptuel qui précise les raisons pour lesquelles il est nécessaire de réguler les marchés fonciers. Elle a souligné l’importance d’utiliser des outils d’analyse adéquats, et de ne pas s’appuyer sur une approche basée uniquement sur la propriété privée. C’est en effet en reconnaissant l’existence de différents types de droits – droits de faire usage des différentes ressources, pour une durée déterminée ou indéfinie ; droits de gestion sur les ressources d’un territoire ; droits de transférer les droits antérieurs à autrui (vente, location, …) – et de différents types d’ayants droit – individus, groupes de personnes (familles, communautés, municipalités, pays, etc.) que l’on peut en combinant droits collectifs et droits individuels définir un grand nombre de modalités de régulation des marchés fonciers, définis alors comme des marchés de droits spécifiques.
Elle a rappelé que tout processus de régulation répondait à un choix de société et s’inscrivait dans la durée. En privilégiant ce que la société définit à un moment donné comme « l’intérêt général », tout processus de régulation suscite immanquablement des réactions d’opposition, des résistances. Il ne peut être durablement développé et appliqué que sur la base d’un pacte social et d’une mobilisation des individus et de leurs organisations.
Tout processus de régulation vise à aller vers une allocation du foncier qui soit compatible avec la politique économique envisagée et favorable à la paix sociale. La régulation peut se mettre en place à différentes échelles, concerner différents espaces sociaux, et s’appuyer sur des interventions directes ou indirectes sur les évolutions en cours.
Trois grands types d’outils de régulation directe ont été dégagés :
- la délimitation des espaces physiques sur lesquels peuvent s’opérer des échanges marchands de droit foncier
- la restriction des acteurs susceptibles d’intervenir dans les transactions marchandes de droits fonciers (de propriété ou d’usage)
- la définition des règles de transactions et / ou la modification de la nature des marchés
A été dressée également une liste d’interventions indirectes, c’est-à-dire d’actions ne portant pas directement sur les transactions foncières, mais ayant un impact important sur les acteurs de celles-ci, cédants et/ou preneurs.
Les différents outils dans les expériences analysées.
Les quatre fiches / études de cas qui ont été documentées ont été les suivantes :
- Chartes foncières du Burkina Faso ;
- Régulation de marchés fonciers dans les ejidos au Mexique après 1992 ;
- Régulation des marchés d’achat/vente de terres par les SAFER en France ;
- Diversité des dispositifs de régulation des marchés de location dans différents pays d’Europe (France, Espagne, Angleterre, Roumanie).
Elles permettent de mettre en évidence dans des situations historiques spécifiques les évolutions qui ont été possibles avec l’application de politiques de régulation qui ont combiné différents outils, relevant d’interventions directes sur les marchés fonciers ou d’interventions indirectes. Elles permettent aussi de s’interroger sur les conditions qui ont permis, ou pas, le succès des politiques. Dans certains cas, une politique qui avait été très utile pour atteindre les objectifs souhaités lors de sa mise en place peut devenir inefficace, ou même contre-productive, quelques décennies plus tard, si les conditions sociales et économiques ont changé. Les études de cas montrent l’importance de l’implication et de la mobilisation de la société civile, les États étant le plus souvent dans l’incapacité de mener une politique de régulation effective dans la durée de façon unilatérale. Chacune d’entre elles se termine par une brève analyse de l’intérêt qu’elle présente pour les lecteurs qui s’intéressent à la construction de mécanismes de régulation destinés à être appliqués aujourd’hui en Afrique de l’Ouest. Aucune ne fournit de modèle, bien évidemment, et l’analyse souligne au contraire les dangers qu’impliquerait le transfert d’outils « clefs en main ». Ces fiches constituent des contributions à la réflexion des responsables gouvernementaux et des représentants de la société civile qui sont engagés ou souhaitent s’engager dans la formulation de propositions de politiques foncières, agricoles et pastorales adaptées à leur pays.
Quelles leçons tirer des fiches d’expériences de régulation ?
Les exemples d’expériences de régulation des marchés fonciers qui sont développées dans ce document ont été utilisés pour formuler les conclusions qui ont été présentées à la fin de l’étude commanditée par l’UEMOA. Elles peuvent être résumées de la façon suivante :
| A. Les marchés des droits sur la terre nécessitent de mécanismes de régulation pour être en mesure d’assurer une allocation des ressources conforme à l’intérêt général. |
- Des outils doivent être construits pour chaque situation géographique et historique à partir de finalités et d’objectifs correspondant à un projet de société. Il n’y a pas de modèle transférable partout ! Mais pouvoir prendre en compte les expériences existantes en les resituant dans leur contexte géographique, historique, social, économique et politique est très utile pour éviter de répéter les mêmes erreurs !
- Les politiques foncières, agricoles et pastorales, économiques et sociétales doivent être en cohérence les unes avec les autres pour que les mécanismes de régulation puissent être efficaces.
- Pour pouvoir être effectivement utilisés, certains outils supposent des institutions spécifiques, qui existent parfois, mais pas toujours. Il faut alors nécessairement créer de nouvelles institutions. Il ne suffira pas de les mettre en place, il faudra créer les conditions pour qu’elles puissent fonctionner de façon adéquate.
| B. La régulation des marchés fonciers ne se décrète pas, elle se construit dans le temps. |
- La mise en place des outils de régulation des marchés fonciers ne peut être que progressive. Il faudra en effet en parallèle renforcer les capacités de gouvernance foncière des populations, aux différents niveaux, locaux, nationaux (voire mondiaux, parfois).
- Des dysfonctionnements des outils de régulation que l’on aura mis en place seront inévitables, particulièrement au début. Leur analyse permettra de les perfectionner progressivement.
- Il faudra de toute façon actualiser et adapter constamment les dispositifs de régulation des marchés fonciers en fonction des changements du contexte social, économique et politique.
- Le rôle des populations concernées dans les processus de définition, de suivi, d’évaluation et de reformulation des instruments sera fondamental pour pouvoir atteindre au mieux les objectifs recherchés.