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BLOG: Ce que nous avons appris en co-construisant la méthodologie de la recherche sur l’entreprenariat féminin

Auteurs : Marame Cissé, Mbissane Ngom, Cheikh Faye, Isac Mingou, Ndéye Fatou Cissé,Laure Tall

Au Sénégal, l’entrepreneuriat féminin reste entravé par des obstacles systémiques,
notamment un accès limité au financement, aux marchés et aux réseaux, ainsi que par des
normes socioculturelles qui perpétuent la discrimination fondée sur le sexe. Selon le
recensement général des entreprises de 2016, 31,3 % des entreprises appartiennent à des
femmes. Ces dernières sont moins susceptibles que les hommes de créer une entreprise.
Ces statistiques qui datent de 2016, bien que précieux à des fins de diagnostic, nécessite une
mise à jour pour rester un outil pertinent d’analyse et de prise de décision. Dans un contexte
où Les autorités publiques reconnaissent que l’accès aux des données rigoureuses et
désagrégées et leur utilisation sont essentiels pour définir avec précision les politiques
publiques, IPAR Think tank initie une synthèse de données visant à renforcer la production et
l’utilisation de données probantes dans les processus décisionnels afin de développer
l’entrepreneuriat des femmes et de renforcer leur autonomisation économique. Dans ce
processus, la construction de la méthodologie constitue une étape décisive. Un exercice
méthodologique ambitieux a été conduit à travers deux ateliers successifs et des rencontres
bilatérales. Ces rencontres nous ont permis d’expérimenter une approche méthodologique,
à la fois collaborative et itérative.

Une approche collaborative ancrée dans l’écosystème des données

Dès le premier atelier tenu le 21 février 2025, la méthode que nous avons adoptée s’est
distinguée par une cartographie collaborative impliquant divers ministères, agences
techniques, et partenaires institutionnels. Cette approche a favorisé une appropriation
collective du projet et permis de positionner les acteurs comme co-producteurs et
utilisateurs de données, au-delà du simple statut d’informateurs clés. Les structures
représentées sont considérées comme productrices ou utilisatrices de données (ANDS,
DAPSA, ministères etc.)
La co-construction des outils (grilles de cartographie des besoins en données, des bases
disponibles et des acteurs) a introduit une dynamique qui a consolidé la démarche
méthodologique. Elle a permis de croiser les attentes des chercheurs avec les réalités
institutionnelles, tout en renforçant les échanges sur les données pertinentes et sur les
réalités spécifiques des femmes entrepreneures évoluant dans des domaines dominés par

    les hommes. Dès le premier atelier, les acteurs institutionnels clés – ministères, agences
    techniques, structures d’appui à l’entrepreneuriat – ont été impliqués dans la construction
    des outils notamment la cartographie des bases, la grille de collecte et le questionnaire.

    Trois grilles pour structurer une démarche

    L’élaboration de trois grilles a contribué à organiser la réflexion méthodologique autour de :
    – La cartographie des besoins en données sur l’entrepreneuriat féminin ;
    – La cartographie des bases de données existantes avec leurs forces et faiblesses ;
    – La cartographie des acteurs de l’écosystème des données.
    Cette triple entrée a facilité une lecture multidimensionnelle de la problématique, en
    distinguant clairement les rôles de chaque entité (producteurs, intermédiaires, décideurs),
    tout en identifiant les lacunes à combler. Cependant, leur appropriation a été inégale :

    – Certaines structures ont pu les remplir en amont, apportant des données précieuses ;
    – D’autres, absentes du premier atelier ou simplement moins préparées, n’ont pas
    rempli les grilles.

    Pour compléter les informations et disposer d’une cartographie plus précise un
    questionnaire a été présenté pour recueillir des informations sur les données disponibles
    ainsi que les besoins. Il sera l’outil principal de cartographie et sera administré au moins à
    une trentaine de structures.

    Une des premières leçons de ce processus de co -construction méthodologique est que
    l’adhésion des parties prenantes se construit plus solidement lorsqu’elles sont pleinement
    impliquées dans l’élaboration des outils, plutôt que cantonnées au rôle de simples
    fournisseurs de données. Toutefois, l’introduction d’outils techniques pour la collecte
    d’informations exige des échanges soutenus, incluant des séances de travail répétées afin
    d’en faciliter la compréhension et la collecte.

    L’itération et l’inclusion comme principes méthodologiques

    Le processus structuré en étapes successives (débutant par un atelier de cadrage sur les
    grandes lignes du projet, et la méthodologie, suivi d’un second atelier de restitution et de
    consolidation, de rencontres bilatérales) a été un choix méthodologique particulièrement
    avisé et pertinent au regard des objectifs du projet. Cette démarche a favorisé :
    – Une meilleure appropriation du projet par les partenaires ;
    – Une première collecte de base de données pertinentes ;
    – Une volonté de partage de données.
    Le caractère itératif de la démarche permet non seulement de prendre en compte des
    retours des participants mais également l’intégration de nouveaux acteurs dans le processus.
    Les ateliers ont mis en lumière et permis de discuter de l’importance de considérer
    l’ensemble des acteurs de l’écosystème des données. La chaîne de production des données
    comprend :
    – Les producteurs ;
    – Les intermédiaires ;
    – Les utilisateurs/décideurs.
    Cartographier les rôles et les relations entre les acteurs de la donnée est une étape
    incontournable pour bâtir une stratégie cohérente de collecte et d’usage des données.

      Cette méthodologie itérative offre ainsi une souplesse dans l’appropriation des outils par les
      structures partenaires qui s’engagent en cours de route.
      Les discussions ont aussi permis de faire émerger des dimensions jusque-là moins ou
      faiblement explorées dans les données existantes :
      – L’entreprenariat agricole des femmes et ses spécifiés
      – L’inclusion des personnes handicapées dans les dispositifs d’entrepreneuriat ;
      – La prise en compte des violences basées sur le genre dans les bases de données.
      Ces préoccupations renforcent l’idée qu’une base de données utile à la décision publique
      doit refléter la diversité, les secteurs clés, les contraintes spécifiques des groupes
      marginalisés pour fournir les moyens de les corriger. Ce qui nous amène à tirer la leçon
      suivante : pour cerner l’entreprenariat féminin, la robustesse méthodologique inclut
      également sa capacité à intégrer de manière transformative les dimensions d’inclusion
      sociale et à avoir une vision globale de l’autonomisation.

      Quelles démarche pour lever les obstacles susceptibles d’entraver le partage des données

      Au cours des discussions, les principaux défis constamment revenus sont : la faible culture
      du partage des données, l’accès difficile à certaines bases, la sous-représentation de certains
      ministères ou de certaines dimensions sexo-spécifiques.
      Il a été suggéré une démarche de co-construction des solutions, ainsi au-delà de
      l’élargissement des partenaires, il a été fortement recommandé l’identification d’un
      ministère facilitateur pour accompagner IPAR dans ses échanges avec les autres ministères.
      Le ministère de la famille avec qui IPAR a établi un partenariat initial peut jouer ce rôle. Il est
      également ressorti des discussions qu’un dispositif de collecte de données bien pensé
      repose autant sur la rigueur technique que sur la dynamique relationnelle. En investissant
      dans la co-construction, l’ancrage sectoriel, l’approche écosystémique et l’inclusive, il est
      possible de produire des données utiles, utilisables dans le renforcement de
      l’entrepreneuriat féminin. Cette méthodologie, encore en construction, est orientée vers
      l’apprentissage. Elle constitue une étape du processus de « learning », permettant de
      capitaliser les apprentissages en continu et d’ajuster les approches à mesure que le projet
      évolue.