Le début du processus d’adhésion du Maroc à la CEDEAO serait-il allé trop vite du point de vue des membres de la Communauté ? Le Maroc aurait-il « brûlé les étapes » au risque de braquer des parties prenantes, même parmi ses alliés indéfectibles ? Au Sénégal, pourtant allié stratégique du Royaume au sein du Continent, la cause n’est pas encore gagnée, du moins pas sans y sacrifier du temps. C’est dire combien le chemin sera finalement ardu pour une adhésion saine et constructive, impliquant les plus réticents des pays de la Communauté ouest-africaine. Analyse.
Après une décennie de renforcement des relations diplomatiques sur le Continent, couronnée par son retour au sein de l’Union africaine, le Maroc était plutôt confiant quant à son adhésion dans un futur proche au bloc sous-régional ouest-africain. Les premiers pas dans le processus d’adhésion ont en effet été franchis avec une célérité inédite pour une démarche d’intégration régionale. Mais quelques jours après l’accord de principe des chefs d’Etat, les voix hostiles au rapprochement entre le Maroc et la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) se sont rapidement fait entendre, mettant en exergue des menaces inhérentes à l’adhésion du Royaume chérifien sur certaines économies de la Communauté.
Le Maroc serait-il allé plus vite que la musique dans sa démarche ? Aurait-il « brûlé les étapes » au risque de braquer des parties prenantes, même parmi ses alliés indéfectibles ? C’est en tout cas la perception qui a transparu lors d’une rencontre organisée à Dakar par l’Institut Amadeus et l’Initiative prospective agricole et rurale (IPAR) le 29 mars 2018, sous le thème « Adhésion du Maroc à la CEDEAO : Fondements, enjeux et perspectives communes ».
Lors de cette rencontre à laquelle ont pris part responsables politiques, associations de consommateurs, syndicats, représentants de la société civile et du secteur privé et centres de recherche sénégalais et marocains, la variable « temps » a pris le dessus sur la variable « espace ».
Rien n’est gagné d’avance
« Les sentiments sont à mettre de côté ! Nous sommes en train de parler de business », lance d’emblée un responsable politique sénégalais parmi les « réticents », évoquant la proximité historique entre le Maroc et le Sénégal, deux alliés solides an Afrique. « Mais le fait de savoir que le Maroc n’est pas pressé est une nouveauté, et cela nous rassure », enchaîne-t-il, tempérant ainsi sa position « hostile » après cette nouvelle donne.
En effet, quelques minutes plus tôt, la partie marocaine avait insisté sur le fait que « le Maroc n’est pas pressé, et le processus prendra le temps nécessaire ». Cette « nouveauté » ressassée par Brahim Fassi Fihri, président de l’Institut Amadeus, sous le contrôle de l’ambassadeur du Royaume du Maroc au Sénégal, a en effet constitué la pierre angulaire des débats qui allaient suivre.
« Les participants regrettent que la démarche se soit limitée au processus de demande formelle auprès des chefs d’État et estime que la rapidité avec laquelle l’accord de principe a été donné au Sommet de Monrovia n’a pas laissé assez de place à un débat permettant de comprendre les intentions, la vision et les apports d’une adhésion marocaine à la CEDEAO », ont d’ailleurs conclu les think-tanks marocain et sénégalais dans leur déclaration finale conjointe.
Le temps de la concertation
Mais jusqu’où peut aller la concertation ? Si certains évoquent la nécessité d’organiser un référendum sur la question au sein des pays de la CEDEAO, les participants à la rencontre étaient d’accord pour dire qu’une telle démarche ne serait ni constructive ni nécessaire. Le débat devra néanmoins être mené avec sérénité dans l’espace public dans chacun des pays. Il faut en effet dire que cette rencontre, première du genre, n’a rassemblé que les représentants du Maroc et du Sénégal, laissant entrevoir l’effort gigantesque de pédagogie et de persuasion que devra déployer le Maroc dans les mois -voire les années- qui viennent pour s’assurer une entrée concertée et acceptée au sein de la Communauté. D’autant plus que les dissonances exprimées par les représentants sénégalais, dont une partie est acquise à la cause marocaine, risquent d’être démultipliées face à des pays moins « proches », Nigeria en tête.
C’est dire encore plus combien la variable « temps » sera cruciale : le temps des négociations ; le temps exigé par les opérateurs économiques pour se préparer à la concurrence marocaine ; le temps qu’il faudra au Maroc pour aménager ses accords bilatéraux extra-CEDEAO et se préparer à la libre circulation des personnes sur son territoire ; le temps nécessaire pour convaincre les opinions publiques les plus réticentes, etc.
La multiplication de telles rencontres dans chacun des Etats de la Communauté n’est pas un luxe et est susceptible de pallier et surtout prévenir des malentendus qui peuvent être lourds de conséquences. La perception que le Maroc était « pressé » en est d’ailleurs un exemple.
Le casse-tête de l’asymétrie
La même variable est également au cœur de questions techniques, comme celle d’une éventuelle asymétrie dans les exigences entre les deux parties qui a été soulevée lors des débats. Cette éventualité, avancée par une frange de la partie marocaine, vise à rassurer les opérateurs économiques de certains secteurs sensibles de part et d’autre. Toutefois, son applicabilité, au vu des textes régissant la Communauté, semble d’emblée compromise. « Les asymétries ne peuvent pas exister au sein de la CEDEAO. Il ne peut s’agir que d’une application complète de la totalité du traité constitutif de la Communauté », tranche l’un des responsables gouvernementaux sénégalais.
Du coup, la formule qui sera adoptée dans ce processus géopolitique est encore à trouver, même si l’apport économique du Maroc au bloc régional fait quasiment consensus parmi les participants sénégalais, rapprochant la CEDEAO encore plus de la taille critique nécessaire pour un arrimage solide à la chaîne de valeur mondiale.
« Malgré l’impréparation constatée, l’adhésion du Maroc est inévitable et sera sous forme d’une intégration en douceur et par étape », finit par déclarer un représentant de la société civile prenant part à la réunion qui s’est déroulée suivant la règle du « Chatam House ».
Les craintes économiques dépassées par la ZLEC ?
Entre temps, le 21 mars dernier, 44 Etats africains ont franchi la première étape dans la constitution d’une Zone de libre échange continentale africaine (ZLEC). De fait donc, la libre circulation des biens et services au sein d’une large communauté de pays, sous l’égide de l’Union africaine, ne semble également qu’une question de temps. Une donne qui pourrait contribuer à apaiser les plus « craintifs » face à la force de frappe commerciale marocaine dans le cadre du libre-échange. « Le débat sur les menaces de la libre entrée des produits marocains est quasiment dépassé par l’avancement du processus de ZLEC », a d’ailleurs martelé un responsable marocain.
Les think-tanks prennent les devants
« Conscient du manque de communication sur cette question éminemment importante, l’Institut Amadeus et l’IPAR appellent à ce qu’un dialogue régional soit engagé dans les différents pays membres de la CEDEAO entre toutes les parties prenantes : Etat, société civile, secteur privé et recherche », ont convenu les organisateurs à l’issue de cette rencontre. Avant d’annoncer la création d’un « comité paritaire maroco-sénégalais de veille et de réflexion sur les négociations portant sur l’adhésion du Maroc à la CEDEAO », dont ils assureront le secrétariat permanent. Le comité rassemblera une expertise nécessaire pour « guider, renseigner et contribuer à la meilleure connaissance » des effets d’une adhésion du Maroc à l’institution commune tant sur le plan économique, social que sécuritaire et « soumettra idées et propositions susceptibles de conforter une démarche co-construite, agissante et solidaire au service de l’agenda régional de développement et de stabilité ».
Source :afrique.latribune.fr/