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L’Afrique sur le chemin de l’autosuffisance alimentaire

Publié le 28 février 2023

EXCLUSIF SENEPLUS - Entretien avec Ibrahima Dia.
Quelles sont les avancées du Sommet Dakar 2 ? Quid du Compact du Sénégal ? Le secteur privé, trop frileux pour s’impliquer dans le combat pour une Afrique autonome au plan alimentaire ?
Ibrahima Dia a coordonné techniquement, au nom de IPAR, l’élaboration du Compact du Sénégal piloté par le Ministère de l’Agriculture, de l’Equipement rural et de la Souveraineté alimentaire (MAERSA) avec l’appui financier du FIDA et de la BAD.


Chercheur associé à l’Initiative prospective agricole et rurale (Ipar), Dr Ibrahima Dia a coordonné l’élaboration du Compact du Sénégal à l’occasion du récent Sommet Dakar 2 consacré à la souveraineté alimentaire en Afrique. Il revient dans cet entretien sur le déroulé des travaux.

SenePlus : Après deux sommets consacrés à la question, quelles avancées pour l’Afrique dans le cadre de la souveraineté alimentaire ?

Ibrahima Dia : C’est au lendemain de son accession à la présidence de la BAD que le Docteur Akinwumi Adésina a énoncé les « cinq grandes priorités » de son mandat que sont : « Éclairer l’Afrique, Nourrir l’Afrique, Industrialiser l’Afrique, Intégrer l’Afrique et Améliorer la qualité de vie des populations en Afrique ». Alors, c’est dans ce cadre qu’il a lancé avec le Sénégal, le sommet de Dakar pour l’élaboration de la stratégie « Nourrir l’Afrique ». Dakar 1 était plus pour jeter les jalons et mettre un cadre permettant de mieux canaliser les financements de la BAD vers l’agriculture.

Quels ont été les résultats à la suite de Dakar 1 ?

Selon les chiffres fournis par le président de la BAD. C’est environ quelques 7 milliards de dollars américains qui ont été investis, avec certains succès enregistrés surtout avec l’initiative Technologies pour la transformation de l’agriculture africaine (TAAT). C’est le cas de l’Éthiopie qui est passé de 4000 HA à 800 000 HA de blé en 4 ans et va passer à 1 million d’HA grâce à la mise à disposition par la recherche de variétés adaptées à la chaleur et des investissements publics, le Soudan aussi pour le blé irrigué dans de grands périmètres irrigués des États d’Al-Jazira, du Nil blanc, et le Malawi avec des variétés de maïs résistantes à la sècheresse ont permis de sauver des millions de personnes de la famine avec la sècheresse qui sévit dans cette partie du continent, au Burundi aussi des productions records de patate douce etc. et beaucoup d’autres pays ont fait des progrès, souvent à travers les projets pilotes, même si les résultats sont loin de résoudre les déficits. Ce sont surtout les leçons apprises de cette phase qui sont importantes.

La première leçon est que les technologies pour nourrir l’Afrique existent et qu’il est possible avec le potentiel en terres (65% des terres arables non cultivées restantes dans le monde) et en ressources en eau avec la jeunesse de la population et les résultats de recherche qui sont dans les tiroirs, de relever les défis en augmentant rapidement les superficies mises en valeur et la productivité.

Ce qui manque le plus, ce sont les moyens financiers à la hauteur des besoins pour atteindre une masse critique d’investissements capables de faire basculer l’Afrique vers son destin de bassin mondial d’abondance de nourriture.

La seconde leçon à tirer, c’est la nécessité de financer toute la chaîne de valeur et de ne pas s’arrêter à la production, mais d’inclure l’amont et l’aval, mais aussi de changer la perception de l’Agriculture comme secteur à risques et secteur pour les pauvres si on veut attirer d’avantage les jeunes. C’est tout le sens des agropoles qui ont été mis en place dans certains pays pour la transformation afin d’ajouter de la valeur, et qui ont donné des résultats dans des pays comme Ethiopie, Egypte, au Benin qui n’exporte plus son coton transformé sur place, la cote d’ivoire qui maintenant transforme la moitié de son cacao sur place et est dans la même dynamique pour l’acajou. Actuellement 24 agropoles sont en construction dans 11 pays dont le Sénégal qui est en train de mettre en place ses Agropoles au Sud, au centre, à l’ouest et au Nord avec lead de la BAD et de la BID.

Quelles sont les innovations de Dakar 2 ? Une rencontre de plus ou un moment d’évaluation et de changement de cap ?

La particularité de Dakar 2 est qu’il ne s’agit pas seulement d’un forum d’échanges entre experts, de discours et de recommandations mais de moments d’engagements pour l’action. Et ce n’est pas théorique parce qu’il s’agissait parallèlement aux panels de mettre face à face les chefs d’Etat, les financiers, le secteur privé, les organisations paysannes autour de documents préparés par les pays et que l’on appelle compact. Et ce document fait le point de la situation, identifie les programmes prioritaires, fait un narratif pour justifier ces choix et identifie, évalue les ressources nécessaires en proposant une clé de répartition ou encore un cadre de répartition des charges et des rôles entre les acteurs. Cela est inédit et mérite d’être souligné. C’est certainement une des raisons pour lesquelles il y a eu une mobilisation d’une trentaine de chefs d’Etat et de gouvernement, ce qui est exceptionnel. Le chefs d’Etat se sont assis pendant des heures jusque tard dans la nuit, dans des « board room » avec tous ces acteurs pour discuter à bâtons rompus sur leurs documents et sur la manière de les mettre en œuvre. Donc orienté, action. C’est ça la différence avec Dakar 1 et les forums classiques.

Qu’est-ce qui a changé dans le contexte, si l’on sait le problème de déficit alimentaire est structurel ?

Effectivement, la différence ce sont les chocs récents et encore d’actualité. Le choc de Covid 19, les conflits et les chocs climatiques. Les conflits, c’est bien sûr conflit Ukraine /Russie, mais aussi les conflits en Afrique, mais aussi les chocs dus aux changements climatiques avec les sécheresses connues dans la Corne de l’Afrique et qui peuvent également arriver à tout moment dans d’autres zones. Donc tout cela a fait prendre conscience aux gouvernements qu’il faut changer complètement de paradigme et passer à l’échelle par rapport à ce qui se faisait jusque-là. Comme on dit sortir du « business as usual ». Mais il faudra changer de démarche.

Les évidences de ce contexte, les problèmes logistiques et les replis nationalistes induits par ces crises ont montré la vulnérabilité d’une économie basée sur l’offre et la demande du marché mondiale et ont amené tout le monde à accepter de changer de paradigme. Je pense que tout le monde est maintenant conscient et y compris, les défenseurs les plus dogmatiques de l’idéologie néolibérale à accepter que l’alimentation des populations est une chose très sérieuse pour qu’on la laisse aux seules lois du marché mondial et aux experts fut ils les plus grands économistes. C’est en cela que le concept de souveraineté alimentaire trouve tout son sens. Il ne s’agit plus d’assurer seulement la sécurité alimentaire par la disponibilité et l’accès stable de qualité des aliments etc. selon la définition de la FAO qu’importe l’origine, mais de l’assurer à partir de la production locale par cercle concentrique en partant des niveaux de proximité locale, régionale et continentale. Les États ont placé au même niveau stratégique l’approvisionnement alimentaire et la protection du territoire. La métaphore militaire a été souvent utilisée dans les discours, le Président du Burundi par exemple assimile les semences aux munitions et la mise en place de « Presidential High-Level Councils for Food and Agriculture Delivery Compacts » rentre dans ce cadre à l’image des conseils de sécurité nationale. Avec le concept de souveraineté l’Etat est remis au centre disons au volant et les autres acteurs doivent s’aligner et les critères pour décider de l’investissement ne sont plus les mêmes.

La dépendance alimentaire est certainement structurelle dans nos pays. Bon, on a toujours pensé que le marché réglerait les problèmes et qu’on peut avoir une confiance au marché et aux règles et aux théories économiques mais les perturbations des chaînes logistiques et le réflexe de souveraineté développés par les pays exportateurs de céréales et oléagineux ont montré l’absurdité et le danger de cette croyance.

Le paradigme dominant depuis les années 80 et celui de la mondialisation libérale qui considère qu’il n’est pas rationnel de produire localement à des coûts élevés des produits alimentaires qu’on peut trouver moins chers sur le marché mondial. Nos Etats ont été encouragés à viser les exportations, les productions de niche destinées au marché mondial ou ils auraient des avantages dits comparatifs. On a prôné le « moins d’État mieux d’État », en demandant à l’État de laisser la place au secteur privé pour investir dans la production. C’est le cas dans la Vallée du Fleuve Sénégal où les investissements publics dans l’irrigation ont été découragés pour laisser la responsabilité au secteur privé et en espérant que les élus locaux à qui sont transférés la gestion des terres du domaine national vont les octroyer facilement. On connait les résultats : c’est la dégradation des sols mal aménagés et sans études pour minimiser les couts (logique capitaliste), les conflits fonciers quelque fois dramatiques comme à Fanaye, la faiblesse des investissements, le gel de plus de 150 000 ha des terres fertiles non aménagées

Rompre avec ce paradigme néolibéral et marquer le retour des Etats comme pilote de ce processus ne signifie pas confier aux fonctionnaires la production, mais l’Etat doit fixer les objectifs et priorités et réaliser tous les investissements structurants et de viabilisation. Mais surtout, c’est à l’Etat de mettre en place des incitations, à assurer la sécurisation de la production et de la commercialisation pour orienter la production en priorité vers les besoins du marché intérieur et des voisins africains et non vers les besoins du marché mondial. Il doit aussi combler les défaillances du marché chaque fois que le secteur privé ne peut pas le faire.

Plusieurs participants à l’instar du président de la Commission de l’UA Moussa Faki Mahamat, ont déploré le peu d’implication du secteur privé dans le combat pour la sécurité alimentaire. Comment s’en assurer à l’avenir ?

Les investisseurs et le secteur privé que j’ai rencontré et ceux qui se sont exprimés publiquement lors des panels ont manifesté beaucoup de prudence et aussi indiqué leur hésitation à investir dans l’agriculture, pour des raisons de perception des risques comparé à des secteurs où il est plus facile de garantir le retour sur investissement, comme l’industrie du pétrole et du gaz, le tourisme etc. Donc ils l’ont dit assez clairement. Ce n’est donc pas évident que le secteur privé, national ou même étranger, va préférer investir dans le secteur agricole en attendant des retours sur investissement qu’ils pensent incertains ou lointains.

La plupart des secteurs privés posent aussi des questions préalables et légitimes notamment le foncier. Ils veulent qu’on leur attribue des masses foncières importantes pour qu’ils puissent l’utiliser comme garantie pour mobiliser des ressources sur le marché financier. Certains veulent également des garanties du côté de l’Etat pour l’accès à des financements voire même l’accès à des fonds mobilisés par l’Etat. On parle de « de-risquer » les financements privés par les États. On revient donc toujours aux Etats.

Vous n’êtes donc par optimiste pour compter sur les investissements privés ?

Honnêtement je ne suis pas optimiste dans le court et moyen terme or c’est urgent de relever les défis pour combler les gaps, c’est maintenant qu’il faut agir et les objectifs doivent être atteint dans les 5 ans à venir, sinon ce sera trop tard. Il y a urgence en termes d’investissements massifs or la densité entrepreneuriale est très faible en Afrique et les moyens propres des entreprises nationales sont encore trop faibles. On l’a vu avec l’évaluation du PAP 1 du PSE du Sénégal ! les investissements attendus du secteur privé local comme étranger n’ont pas été réalisés. Donc il faut que l’Etat ou les Etats s’engagent plus fortement et développent des partenariats avec les organisations paysannes et sociétés coopératives, regroupant les entreprenants agricoles pour qu’ils exploitent davantage tout le potentiel dans le maillon de la production et que le secteur privé se positionne en amont ou en aval, des chaînes de valeur notamment dans la fourniture des intrants, la transformation, dans les agro-pôles et dans la commercialisation.

Quelles sont les mesures préconisées par Dakar 2 contre le changement climatique, un défi corrélé à celui de la sécurité alimentaire en Afrique ?

Oui les changements climatiques sont aussi un facteur de risque pour la production. Ce risque est intégré dans chaque compact c’est une des raisons pour lesquels l’irrigation occupe une place centrale, la solarisation des stations de pompage (énergie solaire) et des Kit d’irrigation rentre dans ce cadre mais le défi du changement climatique c’est plus que cela et je pense qu’il n’a été suffisamment adressé, notamment les aspects liés à la protection sociale, la gestion des risques et catastrophes, l’assurance agricole, la recherche, etc.

Quels sont les points saillants du Compact du Sénégal et dans quelle mesure peuvent-ils aider la stratégie du pays pour la souveraineté alimentaire ?

Les partenaires, à commencer par la BAD, ont fortement apprécié la qualité de document du Sénégal et l’ont cité en exemple du fait de la clarté du narratif, l’objectivité du diagnostic et la cohérence des propositions. Le Compact du Sénégal a été évalué à 1 600 milliards CFA environ. L’Etat s’est engagé à mettre 60 % et les partenaires ont pris des engagements d’appuyer pour le reste. La BAD a mis 300 millions USD.

Pour comprendre le choix des programmes phares du Compact du Sénégal, il faut comprendre l’approche qui consiste à partir des gaps, en termes de stratégie d’import-subtitution pour réduire les importations en volume et valeur. Dans cette optique le compact n’a pas vocation de tout financer mais prendre en charge une partie des besoins d’investissement de certains secteurs de la stratégie nationale de souveraineté alimentaire (SNSA) en finalisation pur en constituer le noyau dur. Le Compact, c’est 1600 milliards CFA sur les 5000 milliards CFA de la SNSA. Les investissements pour le développement de ces chaines de valeur devraient avoir un effet levier sur les autres spéculations dans la mesure où c’est les mêmes acteurs qui interviennent sur l’ensemble des chaines de valeur dans les mêmes environnements. Ils se focalisent sur 7 programmes phares de chaines de valeur (CDV) dont le premier et le plus important est le programme CDV Riz /Maïs. Les importations de ces deux céréales représentent plus 60% des importations alimentaires estimées autour de 630 milliards CFA en 2021. L’accent est mis sur l’irrigation avec la réhabilitation des périmètres irrigués du Nord et de Anambé dont certaines datent de plus de 30 ans à 40 ans et la réalisation des nouveaux aménagements. Ce qui permet mettre en valeur environ 100 000 HA additionnels.

Le second est la CDV de Blé, culture non traditionnelle mais véritable défi si l’on sait que le Sénégal importe 700 00 t pour 150 milliards de FCFA environ et que l’urbanisation croissante favorise l’augmentation de la consommation de pain et de pâtes alimentaires. Sur cette chaine de valeur, l’aval est déjà en place avec les minoteries existantes donc il la commercialisation est garantie avec des contrats d’achats en amont. L’objectif est de couvrir environ 40% des besoins dans les prochaines années en espérant qu’après l’incorporation des céréales et tubercules locales les besoins en blé seront moins élevés. Il reste les technologies, les terres et des producteurs. Sur ce plan ISRA a mis au point 8 varietés adaptées avec des rendements intéressants 3,5 t/ha en milieu paysan, mais les rendements obtenus en Éthiopie avec des variétés de 90 jours adaptées à la chaleur avec des rendements pouvant atteindre 14t/ha laisse présager des perspectives plus intéressantes. En 4 ans l’Ethiopie est passée d’importateur à producteur de plus de 1,250 million de Tonne assurant son autosuffisance et va passer de pays importateur en pays importateur. C’est un success story qui montre que c’est possible. Au Sénégal, la question foncière est une limite pour de nouvelles spéculations mais avec le projet de Renforcement de la Résilience des Ecosystèmes du Ferlo (PREFERLO), un projet de transfert d’eau brut sous pression, de 230 kms, il y a un potentiel de 46 000 ha à saisir. Ce sont des masses foncières importantes qui peuvent être valorisées entre le lac de guiers et Linguère avec de jeunes entreprenants agricoles qui peuvent être formés dès à présent sur cette culture.

Il y a aussi les chaines de valeur oléagineux ou l’accent est mis sur l’aval et l’introduction de tournesol. Dans cette approche, il faut souligner l’intégration de l’élevage et de l’aquaculture qui bénéficie des productions et sous-produits des productions végétales pour l’alimentation du bétail notamment la chaine de valeur lait.

Si la logique est de résorber des gaps, est-il cohérent de mettre l’accent sur la pêche et l’aviculture ou le Sénégal est autosuffisant ?

C’est vrai que pour l’aviculture nous n’importons plus depuis les mesures de protection avec la grippe aviaire qui ont permis une filière performante mais la chaine est vulnérable dans son maillon de production de poussins car les producteurs de poussins importent une grande partie des œufs à couver et il suffit que l’approvisionnement soit interrompu pour que la production s’arrête. La chaine est donc vulnérable, donc pour maintenir notre souveraineté sur ce secteur et réduire les coûts, il faut produire sur place suffisamment d’œufs à couver pour supporter l’expansion de la filière avicole afin d’augmenter la consommation de viande blanche meilleure pour l’alimentation que la viande rouge.

Pour la pêche, il est constaté une baisse de la consommation par tête alors que le poisson est le principal apport en protéines. Des mesures sont préconisées pour interdire les exportations de pélagiques et pour les autres poissons exiger l’augmentation des quotas à débarquer sur place par les industriels qui sont en majorité des nationaux. Mais à cela doit s’ajouter la production aquacole marine et continentale pour augmenter l’offre de poisson surtout à l’intérieur du pays en mettant l’accent sur les maillons faibles de la chaine que sont la production des alevins et des aliments. En résumé, d’une part on substitue aux importations des productions locales là où on a des gaps mais tout en veillant à maintenir les avantages en agissant sur les maillons vulnérables des filières où on est relativement autosuffisant

A vous entendre, le sommet a été un succès.

Oui, on peut le dire sur certains plans. D’abord sur le plan politique puisque ça permet d’assurer le leadership de la BAD, une institution panafricaine, notre Banque à nous. Donc l’affirmation intelligente du leadership de la BAD et de l’UA, donc du leadership africain sur cet aspect est un jalon important. C’est l’acceptation de l’alignement des autres partenaires techniques et financiers sur notre agenda défini par nous. C’est un grand changement de posture dans les relations avec les partenaires de l’Afrique. Si l’on sait que les autres agences ont toujours eu le lead pour imprimer leur vision sur beaucoup de programmes, sur les options. Le fait que ce soit la BAD qui met sur la table déjà des 10 milliards de dollars pour financer les compacts et que les Etats s’engagent à mettre leur part avant de solliciter l’extérieur est un signal fort qui a amené les autres partenaires à s’aligner et à s’engager à mettre 20 milliards. Ce lead africain a permis aussi de mettre en avant l’agenda du prima de la souveraineté par rapport à l’option néolibérale qui a dominé jusque-là et qui imposait le prima des revenus d’exportation et de la compétitivité sur les marchés mondiaux.

Cependant, il reste effectivement des défis importants avec notamment la mise en œuvre car les délais sont courts pour rattraper les retards et pour impulser une dynamique irréversible de ce côté et les rigidités de nos mode d’opération et de gouvernance ne sont pas favorables. Donc c’est là tous ces défis.

Sur quels plans vous estimez que le sommet a échoué ?

Je ne dirais pas cela mais sur quels aspects on aurait pu accorder plus d’attention ?

La première est le niveau de préparation du secteur privé africain et des pays. On n’a pas l’impression que le secteur privé africain s’est préparé pour peser sur la balance et venir avec des engagements clairs. Je pense qu’une meilleure préparation aurait permis une meilleure participation notamment dans le choix des représentants, une meilleure compréhension des défis et implications des nouveaux paradigmes et cela aurait donnée plus d’engagement en connaissance de cause

Au Sénégal, on a vu une organisation des commerçants s’engager à acheter toute la production de riz et une entreprise avicole s’engager à acheter un pourcentage de la production de maïs, c’est bien mais on s’attendait à plus du secteur privé. Je pense aussi qu’on aurait pu mobilier d’avantage les Fondations qui ont des ressources et ont plus de flexibilité. C’est aussi le cas des institution financières autres que les banques commerciales comme les gestionnaires de portefeuille dans les bourses des valeurs et des fonds d’investissement

La seconde limite est l’absence d’intégration ou de dialogue entre les compacts des pays. On des compact nationaux parallèles mais qui souvent adressent les mêmes questions et besoins. On aurait pu avoir des compacts régionaux ou des projets à l’échelle panafricaine pour mutualiser certains moyens en vue de créer une économie d’échelle et plus d’efficacité

Pouvez-vous donner des exemples ?

Oui si on prend l’exemple des engrais, tout le monde en fait une priorité surtout le besoin en urée que l’on importe de Russie et d’Ukraine or le Sénégal, le Nigeria et le Maroc, l’Algérie ont des industries de production d’engrais et bientôt avec le gaz le Sénégal aura de nouvelles opportunités pour produire de l’urée comme le Nigeria. Mutualiser les moyens de tous les pays africains autour de 5 à 6 pays pour produire pour tout le continent est à notre portée. Les ressources publiques et l’épargne privée africaine pourrait financer cela car les retours sur investissements sont garantis au lieu d’attendre des IDE ; C’est plus facile et durable que l’approche actuelle ou chaque pays cherche un partenaire étranger pour investir. C’est la même chose pour les semences ou par exemple l’Éthiopie et le Soudan qui sont en avance sur la production de blé avec des semences certifiées adaptées à la chaleur peuvent être les pôles de production et fournisseurs de semences pour toute l’Afrique. La même chose pour le riz, le maïs, les tubercules, les oléagineux ou des pays peuvent être des pôles de production de semences pour tout le continent, concentrant ainsi des masses critiques de compétences par pole.

Le second exemple c’est le machinisme agricole. Tous les pays veulent moderniser leur agriculture en investissement dans l’acquisition de tracteurs, moissonneuses batteuses, kits d’irrigation ; de motoculteurs etc. C’est un énorme marché. On devra déjà mutualiser les commandes comme cela avait été avec succès par la CDC de l’UA pour la COVID 19 avec une plateforme commune pour des achats groupés, ce qui réduit les couts. Mieux, on doit pouvoir faire un appel aux entreprises qui l’acceptent de venir s’installer en Afrique avec transfert de technologie pour produire sur place les machines. Les pays qui ont une énergie à bon marché et des ressources minières comme l’Algérie, la RDC etc. peuvent être choisis pour abriter ces usines dans la cadre de joint-venture impliquant le secteur privé africain, les Etats, les fonds de pension, les fonds d’épargne, les guichets du secteur privé de la BAD, la SFI etc. pourraient contribuer au financement.

La BAD est tout indiqué pour piloter cette initiative qui concilie ses trois priorités « Nourrir l’Afrique », « Industrialiser l’Afrique » et « Intégrer l’Afrique ».

A mon avis, la BAD devra faire une synthèse de tous les compacts pour identifier des domaines de mutualisation et préparer 2 à 3 compacts transnationaux. Et ensuite elle pourrait convoquer autour d’un prochain forum tous les acteurs du secteur privé, les fonds de pension africain, les fonds d’épargne, les fonds d’investissement et de garantie, les gestionnaires des bourses, les institutions multilatérales de financement privé, les banques centrales etc. et les Etats autour de ces projets partagés. Les entreprises américaines, israéliennes, européennes, brésilienne, et asiatiques de production de machinisme agricole ciblées pour délocaliser leurs usines en Afrique pourraient être invitées et mises en compétition. A l’image de Dakar 2, les parties prenantes pourraient conclure sur place des engagements. Cela est à notre portée.

Source ; https://www.seneplus.com/developpement/lafrique-sur-le-chemin-de-lautosuffisance-alimentaire