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ÉVALUATION ÉCONOMIQUE EX-POST DES BARRAGES DE NIANDOUBA ET CONFLUENT AU SÉNÉGAL

ÉVALUATION ÉCONOMIQUE EX-POST DES BARRAGES DE NIANDOUBA ET CONFLUENT AU SÉNÉGAL

Les populations du Sahel évoluent dans des conditions de vulnérabilité agro-climatique et économique difficiles alors que les investissements consacrés à la maîtrise de l’eau sont limités. Le potentiel qu’offre l’irrigation pour atténuer cette vulnérabilité est à l’origine du regain d’intérêt des États et des partenaires au développement pour des investissements accrus dans ce domaine. Afin de tirer les leçons sur les expériences passées et d’optimiser la rentabilité des grands ouvrages hydrauliques, il est utile de conduire des évaluations ex-post, en application des directives de la CEDEAO. Dans cette perspective, cette étude vise à réaliser l’évaluation ex-post de la richesse produite par les barrages de Niandouba et Confluent, de la comparer aux hypothèses sur lesquelles s’est fondée la décision de construction des barrages et d’aménagement des périmètres irrigués et de faire un bilan financier pour l’État.

Cette étude comparative comporte une phase de collecte documentaire et une phase de traitement et d’analyse des données. La méthodologie est essentiellement fondée sur une évaluation « avant/après ». Elle permet d’apprécier la richesse produite grâce à la construction des barrages et des investissements associés, au moyen d’une évaluation de la valeur ajoutée produite par l’agriculture, l’élevage et la pêche depuis la création des barrages et d’hypothèses réalistes sur les perspectives de production future. Les données de production passée sont comparées aux hypothèses qui ont justifié la construction des barrages et les investissements successifs dans leur mise en valeur. Des indicateurs de rentabilité économique sont calculés à partir des données disponibles et comparés aux valeurs des études de faisabilité.

Le projet d’aménagement du bassin de l’Anambé visait à contribuer à la réduction de la dépendance du Sénégal dans le domaine des importations de céréales, en particulier le riz, et à développer l’économie rurale. Les objectifs de départ étaient dès lors très ambitieux. Il s’agissait d’aménager 16 265 ha en 5 phases dont une phase pilote de 1420 ha. Ces investissements devaient générer une production annuelle de 102 000 tonnes de céréales dont 88 500 tonnes de riz paddy, 7000 tonnes de sorgho et 6500 tonnes de maïs. La mise en œuvre de la phase pilote a porté sur la construction du barrage du Confluent en 1984, d’une station de pompage et d’un chenal d’amenée, ainsi que le démarrage des aménagements hydroagricoles. Entre 1991-1994, des modifications importantes vont être apportées au projet d’aménagement suite aux études hydrologiques qui ont révélé une forte diminution de la pluviométrie durant la période 1968-1991. Le schéma d’aménagement définitif adopté propose le maintien du barrage du Confluent en l’état, la construction du barrage de Niandouba (1997), l’aménagement et la mise en valeur de 5 000 ha en maîtrise complète de l’eau, avec une intensité culturale de 1,6.

Le programme d’aménagement du bassin de l’Anambé a été conçu de façon progressive avec un phasage des investissements. La première phase (1982-1991) subdivisée en deux sous-phases (IA et IB) a permis d’aménager seulement 390 ha en irrigué et 415 ha en pluvial. Sa mise en œuvre a connu de nombreuses difficultés : réalisation des aménagements à 45%, infrastructures sociales inachevées, dépassements de coûts, etc. Il a fallu une phase de consolidation (1992-1996) pour achever l’aménagement de 1320 ha de périmètres irrigués sur les 1365 ha prévus dans le nouveau phasage des 5000 ha à réaliser.

La phase II (1996-1998) est la plus réussie en termes d’envergure des réalisations, de respect des délais de mise en œuvre et de suivi rigoureux des investissements à réaliser. C’est durant cette phase qu’ont été construits le barrage de Niandouba et les quatre stations de pompage en plus de l’aménagement de 2805 ha. A l’opposé, la phase III (2003-2009), bien que visant l’aménagement de 820 ha seulement, a connu de sérieuses difficultés de gestion du personnel qui ont eu des effets négatifs sur la qualité des infrastructures et aménagements réalisés. C’est durant la même période que le Projet d’Appui au Développement Rural dans le Bassin de l’Anambé (PADERBA) a été mis en œuvre avec les mêmes problèmes, se traduisant par des performances très en deçà des objectifs fixés.

Le financement global du programme de développement hydro-agricole du bassin de l’Anambé (19822013) s’élève en terme nominal à 56 milliards de FCFA, soit 81 milliards aux prix de 2008. Huit bailleurs de fonds, dont le Fonds Saoudien de Développement (FSD), la Banque Africaine de Développement (BAD) et la Banque Islamique de Développement (BID), ont contribué à ce financement, en plus de la participation de l’État du Sénégal. Les taux d’intérêt ont varié entre 0,75% et 4%, à l’exception du prêt BOAD (8%). La durée des prêts se situait entre 13 et 50 ans avec des périodes de grâce de 5 ans à 10 ans. Les prêts les plus récents ont été souscrits à des conditions plus favorables (taux d’intérêt, durée de remboursement et période de grâce).

Les prêts de la phase I ont été entièrement remboursés ainsi que l’essentiel des prêts de la phase II. Les encours actuels sur l’ensemble des prêts sont relativement faibles pour deux raisons principales

  1. les prêts des phases I et II ont été déjà remboursés compte tenu de la durée des amortissements
  2. les deux derniers prêts de la BAD sont l’objet de l’Initiative d’Allègement de la Dette Multilatérale (IADM).

Sous l’hypothèse d’un maintien de la moyenne des dix dernières années (une superficie de 3000 ha, un rendement de 4,6 t/ha, un prix moyen de 150 000 FCFA/t et des consommations intermédiaires de 300 000 FCFA/ha), la valeur actuelle des gains obtenus ou projetés (richesse produite) et la valeur actuelle des coûts engagés ont été calculées pour la période 1982-2031. Ainsi, la valeur actuelle des gains sur la période se chiffre à 17 milliards de FCFA tandis que la valeur actuelle des coûts s’élève à 43 milliards de FCFA. Par conséquent, la valeur actuelle nette est négative et est égale à -26 milliards de FCFA. Ces pertes correspondent à un manque à gagner pour le pays de l’ordre de 105 000 FCFA par ha et par an sur une période de 50 ans. En prenant en compte les nouveaux programmes du gouvernement, et notamment le Projet d’Appui à la Sécurité Alimentaire et à l’Élevage (PASAEL), financé par la Banque mondiale, et les initiatives menées dans le cadre du Programme National d’Autosuffisance en Riz (PNAR), nous faisons l’hypothèse d’emblavures de 5000 ha par an avec des rendements moyens de 5 t/ha. Les résultats obtenus sont meilleurs, mais la valeur actuelle nette est toujours négative et se situe à 19 milliards de FCFA, soit une couverture de 57% des coûts. On voit donc, qu’en dépit des investissements consentis et qui continuent, les barrages ne sont pas économiquement rentables.

En 2009, le programme de développement du bassin de l’Anambé a finalement réussi à aménager un peu moins de 5000 ha, répondant ainsi aux objectifs fixés par le Plan Directeur de 1994. Toutefois, les objectifs d’emblavures, d’intensité culturale et de production sont loin d’être atteints, éloignant du coup les perspectives de rentabilité. Un pilotage strict et une gestion rigoureuse des phases d’investissement sont apparus comme des pré-requis pour une performance satisfaisante des barrages. Mais les contreperformances enregistrées durant la période de mise en œuvre découlent d’une panoplie de facteurs fortement imbriqués et dont la complexité n’est souvent pas suffisamment prise en compte.

La faiblesse de la mise en valeur est certainement corrélée aux difficultés de gestion des barrages et des aménagements. Les divergences d’objectifs entre État et producteurs, les problèmes de rentabilité de la production rizicole, l’insuffisante prise en compte des systèmes de production paysans, la nature pluviale du système d’exploitation des aménagements de l’Anambé malgré la présence des infrastructures hydroagricoles sont autant d’ingrédients qui contribuent aux difficultés identifiées dans cette étude et qui ont conduit aux résultats négatifs ci-dessus. Les aspects institutionnels se sont aussi avérés cruciaux et ont conditionné dans une large mesure les résultats médiocres obtenus. Après plus de 30 ans de mise en œuvre, il y a encore une récurrence de problèmes tels que l’état défectueux des aménagements et des infrastructures, le financement problématique des producteurs, un conseil agricole inadapté, des équipements insuffisants, des objectifs macro-économiques adossés à une logique de spécialisation dans un contexte de diversification, etc. Sans une prise en charge correcte de ces questions, les investissements nouveaux risquent de connaître le même sort.