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Traçabilité et impacts des subventions agricoles

Traçabilité et impacts des subventions agricoles

« De même qu’il existe une « vie tranquille des monopoles » (Hicks), il existe une « vie tranquille des secteurs sous subventionnés ». Au Sénégal, l’agriculture bénéficie d’un soutien considérable de l’État. Les instruments utilisés pour apporter ce soutien peuvent revêtir un certain nombre de formes. Les plus connus consistent en des limitations des importations et des subventions à l’exportation, des régimes de prix administrés, des subventions aux intrants. Pour mettre en œuvre son programme de soutien à l’agriculture, l’Etat du Sénégal a généralement recours à une combinaison de plusieurs de ces instruments.

Une subvention est une aide financière versée par l’État à un agent économique privé, ménage, association ou entreprise. Cette aide a théoriquement pour vocation d’aider à la réalisation d’activités d’intérêt général. Parfois il peut s’agir de venir en aide à des acteurs du secteur privé jugés « stratégiques », politiquement sensibles (sauver l’emploi, sauver l’agriculture) ou dont la défaillance engendrerait des effets de domino (« toobig to fail »). Les raisons qui justifient l’octroi de la subvention par l’Etat sont les suivantes : le soutien aux revenus des producteurs, en particulier les petits exploitants, la nécessité d’éviter les coûts élevés qui peuvent décourager les utilisateurs d’engrais par exemple, compte tenu du risque non négligeable d’échec à cause des conditions climatiques et de l’augmentation de la productivité.

Morris et al. (2007) a reconnu que les subventions sont en réalité un « panier de crabes ». Elles sont : hautement politiques ; hautement sociales et populaires ; difficiles à planifier, à exécuter et à évaluer ; Les subventions sont accusées par les économistes de violer le principe d’optimalité et si la subvention est conçue comme provisoire, tout laisse à penser qu’elle sera définitive.

Historiquement, quand on accorde une subvention à un secteur il est très difficile de l’enlever par la suite, même si les justifications initiales peuvent perdre toute pertinence avec le temps. Au Sénégal, les subventions octroyées à l’agriculture ne cessent d’augmenter et posent un réel problème d’efficacité.

La campagne agricole 2012/2013 a été marquée par la poursuite des mesures de soutien interne avec la politique de subventions des intrants agricoles et des facteurs de production. Le soutien apporté à l’agriculture durant cette campagne s’élève à 34,4 milliards de F CFA. Ces 7 8 re Traçabilité et impact des subventions agricoles ssources ont été essentiellement utilisées pour le financement de l’engrais, de semences et de pesticides. Les programmes et filières qui en ont bénéficié sont :

  • La filière arachidière avec une subvention sur les semences pour un montant de 10 575 000 000 F CFA ;
  • L’engrais avec un montant de 18 159 000 000 F CFA de subventions sur toutes les formules ; la part subventionnée étant comprise entre 50% et 70% ;
  • Le soutien à la politique de diversification agricole, avec la reconduite des programmes spéciaux pour un montant de 3 982 500 000 F CFA ;
  • Le soutien à la filière coton pour un milliard de FCFA ;
  • L’appui à la lutte phytosanitaire pour un montant de 715 650 000 F CFA.

Pour la campagne 2013/2014, les mesures de soutien appropriées ci-après, d’un montant de 46,075 milliards de F CFA (contre 34,4 milliards en 2012/2013), destinées à faciliter la conduite du programme agricole 2013-2014 par l’acquisition d’engrais, de semences, de pesticides, de matériels agricoles, etc.

Du côté de la production, la part de l’agriculture dans le PIB stagne alors que les subventions en intrants augmentent d’une année à l’autre et ont atteint près de 40% du budget du MAER en 2014-2015.

Les contre-performances observées dans l’agriculture nous ont amené à poser les questions suivantes : par quel processus l’agriculteur bénéficie-t-il de ces subventions ? Quels sont les acteurs qui interviennent dans la chaîne de distribution des subventions ? Quelles sont les types d’agriculteurs qui en bénéficient le plus ? Quelles sont les contraintes majeures liées à l’accès aux intrants subventionnés ? Quel est le niveau des pertes enregistrées dans la distribution des intrants subventionnés ? Quel est le degré d’efficacité des subventions en intrants ? La réponse à ces différentes questions passe par l’étude de la traçabilité des subventions en intrants.

La traçabilité des subventions agricoles vise à améliorer la gouvernance dans la gestion des dépenses publiques agricoles, en particulier des subventions. Elle vise également à rapprocher les décisions des bénéficiaires en renforçant l’efficacité, la pertinence et la transparence dans la gestion des subventions. Il n’existe pas de modèle sur mesure pour suivre pas à pas les dépenses. Des combinaisons sont faites par un diagnostic de la gestion au niveau central, déconcentré, décentralisé etde la gestion institutionnelle.

Le constat sur les subventions agricoles est leur inefficacité et les distorsions qu’elles créent dans l’utilisation des ressources publiques, mais également, l’inégalité dans leur distribution. Le suivi des subventions agricoles vise : à mesurer la part des subventions agricoles de l’Etat du Sénégal qui est destinée aux exploitants agricoles, et à identifier les points de « fuite » et de distorsions dans l’acheminement des subventions.

Dans cette partie, nous déterminerons le profil des différentes subventions agricoles en intrants et les procédures d’exécution ainsi que leurs impacts et efficacité. Une analyse de leur impact sur les performances des différents types de culture sera également faite pour mesurer leur efficacité. Un focus sera fait sur les délais, la durabilité, les modalités de livraison des subventions ainsi que les quantités qui arrivent réellement chez le ménage agricole. Nous mettrons l’accent sur le processus de passation de marché, les canaux de transmission, le caractère pro-pauvre ou non de la subvention et les instruments utilisés dans l’exécution. Nous déterminerons ensuite les quantités d’intrants subventionnés ainsi que leur valeur. L’analyse du degré de ciblage de la subvention ainsi que les critères d’octroi sont importants. Les modalités de mise en œuvre des intrants qui sont utilisés sont les suivants: le système de passation des marchés (appel d’offre ou entente directe; arrangements institutionnels entre les différents acteurs; mécanisme de livraison pour l’engrais par le biais du gouvernement ou du secteur privé) et l’existence de mesures de précaution pour réduire les fuites et la recherche de rente. Nous analyserons aussi la chaîne de distribution des subventions aux intrants depuis la passation de marché jusqu’à la distribution au niveau des commissions afin de montrer les inégalités.

L’architecture de cette étude est : le premier chapitre fera le point sur les programmes de subvention, notamment sur les mécanismes de mise en place et les dotations budgétaires. Le deuxième chapitre abordera les questions liées à la distribution afin de déterminer les inégalités et les fuites enregistrées dans la répartition. Dans ce deuxième chapitre, l’accent sera également mis sur le caractère pro-pauvre ou non de la subvention. Enfin le troisième chapitre est consacré à l’analyse de l’efficacité et de l’impact des intrants subventionnés sur la production agricole.