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« Les montants de l’APD ont été insuffisants pour l’atteinte des cibles »

Souadou Sakho Jimbira, économiste à l’Ipar, accompagne le processus de mise en œuvre des OMD et des ODD. Outre la rencontre du Roppa organisée du 22 au 24 juin à Dakar dont elle a été l’une des animatrices, elle nous fait le point sur les difficultés rencontrées par les pays de la région qui n’ont pu atteindre les huit OMD et les pièges à éviter pour accéder aux ODD.

La Gazette : La Société Civile ouest Africaine s’est penchée Sur l’évaluation des Omd du 22 Au 24 Juin à Dakar. Quelle est l’utilité d’une telle initiative au moment où l’on parle déjà des défis du Post-Omd et des Odd ?

Souadou Sakho Jimbira : Il faut d’abord noter qu’il n’existe pas de différence entre Post-OMD et ODD. En effet, suite à l’adoption de la Déclaration du Millénaire pour le Développement, un cadre de développement assorti de 8 Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD) a été défini, accompagné de cibles et d’indicateurs pour mesurer les progrès de développement. Ces OMD, dont la date cible a été fixée pour 2015, visent des domaines prioritaires pour le développement tels que la réduction de la pauvreté et de la faim, l’éducation primaire pour tous, l’égalité des sexes et l’autonomisation des femmes, la réduction de la mortalité infantile, l’amélioration de la mortalité maternelle, la lutte contre le VIH Sida et les autres maladies, la durabilité environnementale et la constitution d’un partenariat mondial pour le développement. A l’approche de la date butoir de 2015, les débats et discussions se sont multipliés entre différentes parties prenantes pour définir les priorités de l’agenda international de développement qui devra succéder aux OMD au-delà de 2015, encore appelé programme de développement pour l’après 2015. C’est la raison pour laquelle on parle de Post-OMD ou d’Objectifs de Développement Durable (ODD) qui intègrent les aspects environnementaux, en plus des enjeux de développement.

Faire une évaluation après plusieurs années de mise en œuvre est toujours utile pour pouvoir capitaliser sur les acquis et en tirer des leçons dans la perspective d’un prochain agenda de développement Post-2015. Cependant, l’utilité pour la société civile africaine de faire cette évaluation des OMD aurait pu être maximisée si l’initiative avait été prise il y a quelques années, d’autant plus qu’il ne reste que trois mois avant l’adoption des ODD. L’une des leçons qu’on pourrait en tirer est que la société civile devrait davantage s’impliquer dans la mise en œuvre des ODD, mais surtout dans la définition, le suivi et l’évaluation des indicateurs, ce qui lui permettra de faire le bilan des progrès de développement et de proposer des améliorations au moment opportun.

INSUFISANCE DE L’AIDE PUBLIQUEAU DÉVELOPPEMENT

Aucun pays de l’Afrique de l’Ouest n’a atteint les objectifs globaux des Omd. Quels ont été les handicaps ?

C’est vrai qu’aucun pays n’a pu atteindre les 8 OMD à la date d’échéance de 2015, mais il faudrait reconnaître les efforts louables déployés en faveur des OMD et qui ont permis de réaliser des progrès sans précédent en matière de développement. En effet, selon le rapport du Panel de haut niveau des éminents personnages chargés du programme de développement pour l’après-2015. La réduction de la pauvreté la plus rapide de l’histoire de l’humanité a été observée lors des treize années qui ont suivi l’entrée dans le nouveau millénaire. Le nombre de personnes vivant en dessous du seuil de pauvreté international fixé à 1,25 USD par jour a été diminué d’un demi-milliard, le taux de mortalité infantile a diminué de plus de 30% et près de 3 millions d’enfants supplémentaires sont sauvés chaque année par rapport à l’an 2000. Etc. Dans le cas de l’Afrique, en tenant compte des conditions initiales, il a été noté une accélération du rythme des progrès relatifs aux OMD depuis 2003. Concernant l’OMD 1 par exemple, l’Afrique de l’Ouest est la seule région d’Afrique subsaharienne qui a pu atteindre la cible consistant à réduire de moitié la proportion de la population souffrant de la faim, selon le rapport de la FAO de 2015 sur l’état de l’insécurité alimentaire dans le monde. Par ailleurs, selon le rapport OMD 2014 sur l’évaluation des progrès accomplis en Afrique dans la réalisation des OMD, 8 des 10 pays les plus performants en termes de taux d’accélération des OMD se situent dans les régions africaines, le Burkina Faso étant le mieux classé du groupe.

Malgré ces progrès, la synthèse de la performance des OMD montrait que sur les 8 OMD l’Afrique n’est en bonne voie que sur 3, à savoir l’OMD2 sur l’éducation. L’OMD3 sur l’égalité des sexes et l’autonomisation des femmes et l’OMD6 sur le VIH/Sida, le Paludisme et d’autres maladies. Plusieurs raisons ont été avancées pour justifier que les pays n’aient pas pu atteindre les cibles à l’horizon 2015. L’une des raisons est que les OMD ont suivi un processus top/down, d’où une faible intégration dans les programmes et plans nationaux de développement. Contrairement aux ODD, les OMD n’ont pas suivi un processus inclusif basé sur des consultations participatives auprès de différentes parties prenantes. En conséquence, il y a eu une faible appropriation nationale limitant ainsi l’efficacité et l’atteinte des OMD en Afrique. Une autre raison qui a constitué une contrainte majeure est relative à l’inadéquation des données et des informations disponibles pour évaluer les progrès de développement, ce qui est renforcé par la faiblesse des capacités statistiques dans la plupart des pays d’Afrique de l’Ouest. L’absence de priorisation des OMD ainsi que les financements disponibles ont également constitué des limites pour pouvoir les atteindre à la date cible. Le financement des OMD était essentiellement basé sur l’aide publique au développement (APD), mais les montants accordés étaient insuffisants face aux ressources nécessaires pour atteindre ces OMD. L’APD accordée a toujours été inférieure au taux de 0,7% du Revenu National Brut que les pays membres du Comité d’Assistance au Développement s’étaient engagés à donner. L’insuffisance des infrastructures a également contraint l’atteinte des OMD dans la région.

ODD et PSE

Quelles sont les erreurs à éviter dans la mise en œuvre des ODD ?

D’abord pour mettre en œuvre les ODD, il faudrait s’assurer de leur cohérence avec nos plans et programmes nationaux de développement. Dans le cas du Sénégal où le PSE constitue la référence en matière de politique de développement, il serait utile de comparer les cibles des ODD par exemple à celles qui ont été proposées dans le PSE. Cela permettra de voir si les priorités nationales déclinées dans le PSE couvrent la totalité des ODD, au cas contraire prendre les mesures appropriées pour combler le gap afin d’assurer une bonne mise en oeuvre.

Par ailleurs, l’une des leçons tirées des OMD est que les montants de l’APD accordés ont été insuffisants pour l’atteinte des cibles. Il faudrait donc que les pays se concentrent davantage sur la mobilisation des ressources domestiques et la lutte contre les flux financiers illicites. Enfin, la production de statistiques fiables, disponibles et accessibles au moment opportun a été une des contraintes durant la période des OMD. Il est donc essentiel de renforcer les capacités statistiques des pays, particulièrement africains, pour faciliter une meilleure mise en oeuvre des ODD.

Peut-on parler de diktat des pays développés dans la mise en oeuvre du processus, comme c’est dénoncé dans le cadre des OMD, notamment par la société civile. D’aucuns parlent de nouvelle forme de colonisation ?

Non, je pense que ce serait exagéré de parler de diktat ou d’une nouvelle forme de colonisation dans le cadre des ODD. En effet, contrairement aux OMD qui ont été critiqués à cause de leur processus top/down, il faut reconnaitre que des efforts ont été consentis pour définir un agenda de développement Post-2015 basé sur un processus participatif et inclusif. En effet, des consultations nationales ont été conduites ainsi que des votes électroniques dans une cinquantaine de pays, avec 24 en Afrique dont le Sénégal, pour définir les priorités de développement Post-2015.

Ces consultations avaient réuni différentes parties prenantes, dont la société civile, et le CONGAD a joué un rôle clé durant le processus de consultations qui a été conduit au Sénégal en 2013. Par ailleurs, il faut également noter l’existence de la Position Commune Africaine (PCA) qui a été adoptée par les chefs d’Etats et de gouvernement de l’Union africaine en janvier 2014. Elle met le focus sur les priorités de développement du continent devant sous-tendre le programme de développement Post-2015 et repose sur six piliers. Néanmoins il faut reconnaitre l’existence d’un déséquilibre structurel dans la génération des connaissances avec une domination du Nord. Le processus d’élaboration des ODD et les négociations actuelles indiquent cependant que des progrès réels ont été accomplis dans la prise en compte des intérêts des pays en développement, sous le leadership de l’organisation des Nations Unies.

Entretien réalisé par Pape Amadou FALL

La gazette du pays et du monde – n°283 du 09 au 16 juillet 2015

« Les montants de l’APD ont été insuffisants pour l’atteinte des cibles (…) – Ipar, initiative prospective agricole et rurale