“La Formation Agricole et Rurale ne doit pas se limiter à la production mais intégrer les besoins de compétences en amont et en aval”. Dr Ibrahima Hathie est chercheur à l’IPAR (Initiative Prospective Agricole et Rural). Ses recherches portent principalement sur les performances agricoles, le changement climatique, l’emploi des jeunes et les objectifs de développement durable. Il nous offre son regard sur la formation agricole et rurale au Sénégal : son rôle et sa place au sein des politiques publiques, et des pistes pour améliorer le dispositif national.
Quels sont les enjeux et les défis de la formation agricole et rurale au Sénégal ?
A l’instar des pays d’Afrique subsaharienne, le Sénégal fait face à des défis démographiques (croissance démographique soutenue, urbanisation rapide et une population très jeune) et de productivité dans un contexte de changement climatique et de dégradation des terres. Dans ce contexte de changements structurels, les enjeux et défis de la formation agricole et rurale incluent : (i) le renouvellement des exploitants agricoles au moment où les jeunes ne sont pas forcément attirés par la reprise de l’exploitation agricole ; (ii) la modernisation des exploitations agricoles pour prendre en charge les nécessaires changements structurels de l’agriculture ; (iii) la capacitation des agriculteurs afin, d’une part, qu’ils soient en mesure de négocier une part équitable de la plus-value agricole créée et d’autre part, qu’ils puissent contribuer à la formulation, à la mise en œuvre et à l’évaluation des politiques publiques.
Ces enjeux et défis sont-ils communs à tous les pays d’Afrique ?
Les pays d’Afrique subsaharienne partagent les défis démographiques et doivent également faire face aux changements structurels qu’ils induisent, notamment les mutations dans les demandes alimentaires liées à l’urbanisation, la nécessité d’accroitre la productivité agricole pour satisfaire une demande alimentaire croissante et dynamique, dans un contexte de dégradation de la base productive et de variabilité climatique. Dès lors, les pays d’Afrique doivent préparer leur capital humain à prendre en charge ces mutations.
Comment analysez-vous les besoins de formation pour les populations rurales au Sénégal et quelles sont vos préconisations pour répondre à la demande des parties prenantes ?
La diversité et la complexité des situations font que les besoins de formations des populations rurales doivent être appréhendés en tenant compte des réalités locales. L’ancrage territorial doit être mis en avant dans le design des offres de formation. De plus, l’analyse des besoins de formation doit aller au-delà de la transmission des connaissances et techniques et intégrer le développement des capacités d’analyse et de diagnostic des situations agricoles et rurales afin de proposer des réponses adaptées aux conditions locales. Enfin les besoins de formation doivent prendre en compte le savoir professionnel local et son mode de transmission et éviter une transmission techniciste et dirigiste. La formation agricole et rurale, pour répondre à la demande des parties prenantes doit s’adosser sur l’éducation de base, pour fournir ainsi un socle de compétences tout en facilitant une adaptation aux différentes particularités du milieu rural. Elle doit surtout prendre en compte que l’essentiel de l’agriculture familiale est polyvalente et diversifiée.
Le caractère intersectoriel de la formation agricole et rurale nécessite de coordonner les politiques et stratégies des différents acteurs nationaux. Comment ces stratégies s’articulent-elles au Sénégal ? Est-ce que cela fonctionne bien ?
La définition de la stratégie nationale de formation agricole et rurale (SNFAR) a été une grande avancée du début des années 2000 et l’avènement du Bureau de la formation agricole et rurale (BFPA) logé au ministère en charge de l’agriculture a pu impulser la mise en œuvre de la SNFAR. La décision de transférer la tutelle des écoles et centres de formation agricole au ministère en charge de l’enseignement technique, a été perçue comme une tentative malheureuse de séparer la politique de formation agricole de la politique agricole, décision contraire aux orientations consensuelles de la FAR. A défaut d’un BFPA capable de coordonner les politiques, stratégies et interventions des différents acteurs nationaux, il serait peut-être utile de créer une structure à caractère intersectoriel, logée au Secrétariat général du gouvernement ou à la Présidence de la République, à l’image du Secrétariat exécutif du conseil national de sécurité alimentaire (SECNSA) et du récent Conseil national de développement de la nutrition (CNDN, ex CLM). Ce positionnement institutionnel pourrait ainsi faciliter l’articulation des différentes stratégies, créer les synergies nécessaires et assurer la cohérence requise.
Quelles sont vos suggestions pour améliorer la formation agricole et rurale au Sénégal ?
Il faudrait d’abord que les autorités soient convaincus que les transformations structurelles de l’agriculture ne pourront s’opérer sans un investissement massif dans la formation agricole et rurale. Même si l’impact de l’éducation et de la formation sur les performances économiques est aujourd’hui reconnu, ses effets se font sentir sur le long terme. Dans le court et moyen terme, les pouvoirs publics sont souvent plus enclins à investir dans des investissements visibles tels que les routes, les aménagements ou des financements pouvant procurer des subsides électoraux comme les subventions. Les enjeux de productivité du travail et du capital doivent néanmoins nous inciter à davantage allouer des ressources à la formation agricole et rurale et permettre ainsi aux jeunes de faire faire un bond au secteur agricole, augmentant ainsi sa contribution au PIB tout en permettant aux actifs agricoles de s’enrichir davantage. Dans cette perspective, la FAR ne doit pas se limiter à la production mais intégrer les besoins de compétences en amont et en aval, y compris en exploitant les possibilités de recours aux technologies digitales.
Source : reseau-far.com