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lemonde.fr - L’agriculture familiale, indispensable au développement de l’Afrique

Publié le 20 février 2018

Alors que l’agriculture a occupé une place de choix dans les débats de Rio+20, et que les forces de la société civile y ont défendu l’agriculture familiale, l’étude « RuralStruc » permet d’éclairer sous un jour nouveau son rôle dans la lutte pour le développement. A l’initiative de la Banque mondiale, du Fida, de l’AFD et du Cirad, en partenariat avec des équipes nationales, cette étude analyse, après 25 ans de libéralisation des marchés, les transformations structurelles de l’agriculture dans 7 pays, dont 4 en Afrique sub-saharienne, sur la base d’une vaste enquête menée auprès de 8000 familles.

L’AGRICULTURE FAMILIALE LARGEMENT MAJORITAIRE DANS LE MONDE

L’écrasante majorité des agriculteurs du monde demeurent « familiaux » au sens où leur activité économique est structurellement liée à leur famille. Ce lien, au-delà de la très large diversité de taille, de système de production, d’insertion au marché, de niveau technologique et de capital, conditionne le processus de décision, l’organisation du travail, la gestion des activités et des facteurs de production et la transmission du patrimoine. A l’échelle mondiale, les 800 millions de petits producteurs suivent la logique familiale d’exploitation, emploient l’écrasante majorité des 1,3 milliards d’actifs agricoles et font constamment la preuve de leur capacité à évoluer.

L’« ajustement structurel », imposé dans les années 80 aux pays les moins avancés, a impliqué le retrait de l’Etat du secteur agricole. En Afrique sub-saharienne, ce traitement de choc, a tué dans l’œuf les quelques dynamiques d’intensification et exposé brutalement les agriculteurs à la concurrence globale de produits venant de zones où les productivités du travail étaient bien plus élevées. L’impact de cette désaffection pour le secteur a été énorme : dégradation des infrastructures agricoles, forte baisse de l’utilisation d’engrais, disparition des structures d’accompagnement technique, érosion des capacités de recherche, accentuation de la pauvreté rurale et de la faim...

Malgré ces contraintes, les agriculteurs africains ont su résister, innover et continuer à alimenter les villes mais au prix d’une extension des surfaces cultivées, sans que le maintien de la fertilité soit durablement garanti.

L’AGRICULTURE DE NOUVEAU AU CENTRE DE L’AGENDA DU DÉVELOPPEMENT

Aujourd’hui l’agriculture revient au centre des attentions car on reconnait que plusieurs grands défis globaux – alimentation, énergie, santé, pauvreté, dégradation des écosystèmes, changement climatique - risquant de constituer une crise systémique majeure, impliquent l’activité agricole à un degré ou un autre. Par ailleurs, l’Afrique sub-saharienne n’a pas vécu, comme les autres continents, sa « transition économique », entraînant un passage massif de l’activité agricole vers les autres activités ; elle a vécu une urbanisation sans industrialisation, sans nouveaux gisements d’emplois.

La question de l’agriculture se pose donc de façon particulièrement aigue car les agriculteurs africains, pour la plupart en situation de pauvreté radicale, vont devoir nourrir, renforcer les services éco-systémiques, produire des agrocarburants, etc. et, dans le même temps, générer cette « transition économique ». Les responsables politiques, qui affichent des objectifs agricoles très ambitieux, se basent souvent sur un modèle de « modernisation » passant par les grandes exploitations mécanisées au risque de provoquer l’éviction des petits paysans pauvres, jugés non viables.

L’AGRICULTURE FAMILIALE, INDISPENSABLE POUR DÉVELOPPER L’EMPLOI EN L’AFRIQUE

RuralStruc rappelle l’arrivée massive des jeunes sur le marché de l’emploi en Afrique subsaharienne ; ils seront 25 millions par an en 2025, et ce sera donc près de 200 millions d’emplois qu’il faudra trouver d’ici là en zone rurale. Cette arrivée peut être une opportunité de développement ou une véritable bombe sociale, selon que ces jeunes parviennent ou non à vivre de leur revenu. Le secteur agricole, avec 65 % des actifs, sera longtemps prépondérant car les perspectives d’emploi dans les autres secteurs restent limitées. Au-delà de la production et de la sécurité alimentaire, il devra donc impérativement générer plus d’activités et de revenus et la création d’emplois doit devenir un critère incontournable des choix de développement agricole. De ce fait, représentant l’écrasante majorité de l’emploi agricole, les agricultures familiales sont incontournables, l’agriculture entrepreneuriale génèrant bien moins d’emplois. L’étude montre aussi, au delà de la diversité des situations, que la pauvreté est sévère et générale : près de 80 % des ménages enquêtés ont des revenus nettement inférieurs à 2 dollars par personne et par jour. A un tel niveau de pauvreté, l’autoconsommation familiale est la seule stratégie possible.

Selon Ruralstruc, trois pistes sont à privilégier :
Développer les marchés régionaux. En dehors de quelques rares niches et des filières organisées à l’exportation, le petit producteur ne peut pas faire valoir un avantage comparatif dans le marché global. Les marchés des produits alimentaires au niveau régional restent les plus accessibles et bénéficient d’une demande forte et durable ; leur développement est une clé pour l’innovation et la diversification rurale, ce qui suppose des politiques très volontaristes de soutien, voire de protection.

Générer une diversification des revenus. La majorité des ménages tente d’avoir une activité hors exploitation, mais le retour financier est très faible car les emplois hors agriculture sont rares et mal rémunérés et les plus pauvres n’y ont pas accès. Ils semblent condamnés à des activités de survie et bloqués dans des « pièges à pauvreté », au niveau de la région ou du ménage. Pour commencer à se diversifier, les agriculteurs les plus pauvres doivent être soutenus, leurs actifs protégés, pour passer un cap et mieux faire face aux risques.

Réinvestir des stratégies de développement ancrées dans les territoires. Seule une option radicale pour l’agriculture familiale pourra réduire cette pauvreté rurale et enclencher de dynamique de développement profitant au plus grand nombre. Pour accroitre les revenus agricoles, clé de la demande rurale et de l’indispensable diversification, il faut augmenter la productivité et garantir un meilleur accès aux ressources et aux marchés. Les niveaux de pauvreté rurale imposent des investissements massifs dans les biens publics que sont les infrastructures, la formation et l’innovation, le fonctionnement des marchés et l’intégration régionale. La cohérence de ces investissements doit s’appuyer sur des stratégies de développement intégrées visant explicitement la lutte contre la pauvreté. Alors qu’on a longtemps préféré des approches sectorielles peu coordonnées, il faut réinventer des démarches territorialisées et participatives, avec de véritables priorités d’actions. L’agriculture familiale, ancrée dans les territoires, pourrait alors pleinement jouer son rôle de ferment de développement.

Il n’y a pas de modèle prêt à porter pour le développement rural tant est grande la diversité des situations, mais il y a des questions fondamentales à se poser où que l’on soit. Si on veut œuvrer pour un développement qui ne concentre pas les richesses mais qui réduise la grande pauvreté et les inégalités, et génère un grand nombre d’emplois, la priorité doit clairement être donnée aux agricultures familiales, qui a fait ses preuves partout dans le monde pour son efficacité technique et économique, son adaptabilité, sa contribution au capital social, son insertion dans des logiques territoriales, la durabilité de ses stratégies, etc. Ce choix suppose avant tout une sécurisation du foncier, avec une protection des droits d’usage, puisque ce sont ces agricultures qui sont menacées le plus souvent par les achats massifs de terres. René Dumont, dans son célèbre livre « l’Afrique noire est mal partie », posait des questions de fond sur la transformation structurelle de l’agriculture dans ce continent. 50 années plus tard, les évolutions ont été considérables mais certaines des questions restent d’une actualité brulante et cela donne la mesure du délaissement qu’ont vécu les populations rurales africaines. Les Nations Unies ont décidé que 2014 sera l’année internationale des agricultures familiales. Souhaitons que ce soit l’occasion d’une réelle prise de conscience de tout ce qu’elles ont à apporter au développement.

Le Cirad est un centre de recherche français qui répond, avec les pays du Sud, aux enjeux internationaux de l’agriculture et du développement.

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