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iedafrique.org //LE PARADOXE DE L’ÉLEVAGE AU SAHEL : FORTS ENJEUX, FAIBLES SOUTIENS

Publié le 20 mars 2017

Les grands pays d’élevage du Sahel (comme le Niger, le Mali ou le Burkina Faso) soutiennent très peu le secteur de l’élevage, en proportion du budget général de l’Etat et des soutiens accordés à l’agriculture. C’est le constat unanime que portent les analystes, de la Banque mondiale à la FAO, en passant par les organisations d’éleveurs, les ministères de l’ Elevage de ces pays eux-mêmes.

C’est surprenant dans ces pays qu’on présente pourtant comme des bons élèves dans le respect des engagements de Maputo (engagement des Etats africains à dédier 10% du budget national à l’agriculture, élevage compris). C’est surtout étonnant dans des « pays à vocation agropastorale » pour lesquels les filières animales sont considérées par tous comme stratégiques, porteuses ou prioritaires. Enfin, il y a lieu de se demander pourquoi les pays de la Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) n’investissent pas davantage sur ces filières sensibles qui, selon les politiques adoptées, pourraient devenir soit un socle de l’intégration régionale ou une sérieuse pomme de discorde. Cette synthèse, réalisée en partenariat avec le réseau APESS, se base principalement sur des données récoltées dans quatre pays : Burkina Faso, Mali, Niger, Sénégal.

L’élevage tient une place importante dans l’économie des pays du Sahel tels que le Mali, le Burkina Faso, le Niger. C’est aussi le cas en Mauritanie et au Tchad. Ce secteur représente généralement plus d’un tiers du PIB agricole de ces pays. Selon l’OCDE, si on comptabilisait la contribution de l’élevage à l’agriculture (fumure, attelage), ainsi que d’autres services (sous-produits, épargne), la contribution au PIB agricole de ces pays s’élève à 50%. Au Burkina Faso selon la Banque mondiale, le poids de l’élevage dans le secteur primaire est même en hausse (passé de 30 à 45% entre 2000 et 2010).

Si l’on regarde le poids de l’élevage dans l’ensemble de l’économie dans ces pays en revanche, certaines analyses s’alarment de son déclin, notamment du fait de l’émergence d’autres secteurs d’activités dans la formation du PIB : « le poids relatif de l’élevage dans les économies nationales est en baisse constante, il ne représente plus aujourd’hui que 10 à 15% du PIB au Burkina et au Niger, même si sa part dans les recettes d’exportation est encore importante au Burkina (Cilss 2010) ».

Avec les produits miniers et le coton, le bétail (vendu principalement sur pieds) est parmi les premiers postes d’exportation des pays enclavés sahéliens, souvent le troisième après l’or et le coton comme au Burkina Faso. Il s’agit du premier produit échangé entre les pays sahéliens et les pays côtiers, il représente donc un important facteur d’intégration régionale.

Le mode de production extensif est également caractérisé par des faibles coûts de production, ce qui rend le bétail sahélien fortement compétitif. Durant les deux dernières décennies, les transactions de l’élevage entre les pays ouest-africains ont connu une croissance considérable pour atteindre près d’un milliard de dollars US (ATP, 2013). Elles auraient doublé entre 2000 et 2010. De l’avis de plusieurs experts, les flux réels de bétail entre les pays sahéliens et les pays côtiers sont largement sous-estimés : « les statistiques officielles ne représentent probablement en moyenne qu’environ un tiers des transactions réelles en valeur » (Josserand 2013).

Un cheptel en forte croissance, malgré les crises

Selon les estimations, dont on sait qu’elles sont peu fiables, le cheptel bovin du Niger, du Mali et du Burkina Faso s’élève pour chacun à plus de neuf millions de têtes. Ils forment avec le Nigeria (autour de 16 millions) les plus gros producteurs de viande rouge de la Cedeao. Le cheptel ovin et caprin est particulièrement en croissance dans les quatre pays depuis les grandes sécheresses et malgré les crises climatiques à répétition (2002, 2005, 2008, 2010, 2012, cinq crises alimentaires majeures en dix ans). La courbe des bovins comparée à la courbe de la population rurale montre les effets à long terme des crises sur l’élevage. On voit en constatant l’évolution du rapport bovin/humain que l’élevage bovin ne s’est jamais vraiment remis des grandes sécheresses des années 1970 et 1980.

Filières soumises à rude épreuve

Les conditions de production se dégradent pour les pasteurs. Dans les quatre pays, les conditions de vie et de production de nombreux éleveurs se sont pourtant dégradées sous l’effet de contraintes de tous ordres. Crises climatiques, prix non incitatifs à la production et à la vente, entraves à la mobilité entre les pays, conflits croissants avec les agriculteurs dont les champs empiètent de plus en plus sur les zones de pâturage, urbanisation et enfin développement de l’insécurité physique dans les zones reculées sont autant de réalités aux quelles les pasteurs sont confrontés.
Par exemple, les aires de pâturage, les couloirs de passage, les pistes de transhumance et les enclaves pastorales se réduisent comme peau de chagrin. Comme les pâturages des zones pastorales, ils sont « colonisés » par des champs ou des propriétés privées de nouveaux acteurs (commerçants, fonctionnaires, élus).

Les Etats n’ont pas su inverser la tendance et ont globalement axé leurs politiques sur des enjeux de production végétale d’exportation. La production animale est tirée par une demande urbaine des pays côtiers en plein boom. Les produits animaux sont de plus en plus consommés : en 2008, les dépenses alimentaires se divisent en trois part équivalentes : 1/3 de produits animaux, 1/3 de produits de sauce, 1/3 d’amylacées de base.

En 2005 , on estime que la croissance de la demande urbaine en produits carnés s’élève à 4% par an, et que sa croissance aura plus que triplé entre 2005 et 2025 (OCDE). Globalement, il semble que l’offre en produits animaux croît certes, mais pas suffisamment pour suivre l’accélération de la demande. Si les potentialités sont grandes, les risques de voir la filière bétail viande sahélienne concurrencée fortement par d’autres régions sont réels dans un contexte de croissance forte de la demande.

« Si les opérateurs économiques sahéliens ne s’organisent pas rapidement, la viande d’Afrique australe pourrait inonder leur marché dans les 20 prochaines années » (CILSS, 2010). Estimée à « seulement » 2% par an, la croissance de l’offre en produits animaux se heurte à la faiblesse des ressources et la croissance du front agricole dans les zones pastorales. Cependant si les effets réguliers des sécheresses étaient réduits et si un soutien rapide à la reconstitution des cheptels au sortir des crises était mobilisé, l’offre de bétail pourrait être augmentée.

Le défi des viandes blanches

Il convient de bien différencier la situation de l’offre selon les produits. Sur les viandes rouges, la région est globalement autosuffisante. L’évolution de la filière avicole présente des différences selon les pays.
Le Sénégal, après avoir subi une vague importante d’importation de viande blanche, a connu un redressement spectaculaire de sa production locale suite à une interdiction des importations pour raisons sanitaires. Il est aujourd’hui autosuffisant en viande blanche et en œufs.
Le Niger au contraire traverse une phase d’accélération brutale des importations de produits avicoles, pour des raisons mal expliquées aujourd’hui.
Le Mali et le Burkina Faso semblent aujourd’hui encore à l’abri de ce phénomène. En revanche, de manière générale, dans la sous-région, on observe une plus grande consommation des viandes blanches au détriment des viandes rouges : il y a une forte concurrence entre ces deux types de viande.

Bien que la consommation de produits laitiers soit globalement en hausse, la filière lait peine à se développer dans les quatre pays. L’offre ne suit pas la demande urbaine et les importations de poudre ne font qu’augmenter à un rythme préoccupant. Ces importations croissantes sont à la fois une réponse de court terme au déficit de l’offre et une cause de celle-ci, puisque le prix du lait en poudre importé défie toute concurrence sur les marchés et décourage ainsi la production et la structuration de filières locales.

D’autres facteurs permettent d’expliquer le problème du lait, parmi lesquels l’insuffisance d’alimentation pour le bétail en saison sèche et des difficultés structurelles, notamment au niveau de la collecte et de la conservation de ces produits périssables. Là encore, les situations sont différentes selon les pays. On constate au Sénégal un véritable développement de mini-laiteries et des innovations prometteuses pour la filière. Mais selon de nombreux observateurs, l’avenir de cette filière est plutôt sombre. Avec la mise en place du tarif extérieur commun de la zone CEDEAO (Tec) et la fin des quotas laitiers en Europe, les importations ne risquent pas de se réduire à court terme.

Politiques de l’élevage dans les pays côtiers.

Les politiques de l’élevage pratiquées dans les pays côtiers semblent tournées vers la réduction des importations de viande en provenance des pays sahéliens . Comme il a été relevé dans un bulletin de synthèse précédent, « la Côte d’Ivoire figure parmi les principaux importateurs de bétail des pays sahéliens enclavés. Les données officielles de la Côte d’Ivoire font état de 660 209 bovins et 1 384 000 petits ruminants importés entre 2004 et 2009.
Le Programme National d’Investissement Agricole (PNIA) met en avant cette dépendance des importations et le potentiel de production dans le pays pour développer un objectif centré sur l’amélioration de la couverture des besoins par la production nationale. Il n’évoque pas les questions liées à la transhumance des troupeaux sahéliens, et les enjeux liés à la stabilisation et à la sécurisation de l’élevage dans un cadre régional » (BDS 14, voir page 8). Il importe que les politiques nationales soient davantage conçues en intégrant les enjeux régionaux.

Faibles soutiens publics

Les pays du Sahel respectent les engagements de Maputo. En moyenne, les Etats sahéliens constituent la majorité des dix pays africains sur 54 à consacrer 10% de leur budget à l’agriculture (élevage compris). En comparaison avec la décennie précédente, ce taux est cependant clairement à la baisse. Durant les années 1990, les pays sahéliens enclavés pouvaient consacrer jusqu’à 40% de leur budget à l’agriculture. En 2008, alors que se déclare la crise alimentaire, le budget agricole en valeur absolue du Burkina Faso est inférieur au budget agricole de 1991.
Mais ils ne respectent pas les recommandations de l’UA-BIRA concernant l’élevage.

En 2005, les ministres responsables des ressources animales de l’Union africaine ont précisé que 30% de cette part allouée à l’agriculture devrait être réservée spécifiquement à l’élevage, ce qui revient à dire que 3,33% du budget national devrait être alloué à l’élevage. C’est l’UA-BIRA (Bureau Interafricain des Ressources Animales lié à l’Union africaine) et les institutions régionales qui sont chargées de suivre la mise en application de cette décision.

L’aide internationale constitue la grande majorité des budgets agricoles, et revient peu à l’élevage. Plus des deux tiers voire les trois-quarts des budgets agricoles des pays sahéliens sont constitués de fonds de l’aide étrangère. Or, l’aide consacrée à l’élevage est généralement faible. Selon l’Organisation Mondiale de la Santé Animale, au niveau mondial, « 1,7% de l’aide internationale destinée à l’agriculture bénéficie à des programmes de développement de l’élevage et des Services Vétérinaires nécessaires à sa productivité et même à sa survie ».

De plus, l’aide internationale s’intéresse en priorité à la sécurité alimentaire et aux productions végétales. Pourquoi ? Pour certains analystes, les produits animaux sont considérés comme des produits « de luxe », touchant les populations aisées, et n’intervenant pas dans une problématique de sécurité alimentaire. L’aide a ainsi sa part de responsabilité dans le sous-investissement dans l’élevage.

Au Mali, la majorité des investissements (principalement dus à l’aide) est dirigée sur l’irrigation. Au Niger, les dépenses de gestion des crises alimentaires sont le poste prioritaire. De plus en plus de voix lient aujourd’hui le problème du sous-investissement agricole à un problème de « sur-dépendance » à l’aide internationale. C’est valable pour l’élevage au Niger qui était financé en 2010 à 57% par l’aide étrangère, comme au Burkina-Faso (48%).
A noter cependant que la dépendance à l’aide internationale serait moindre dans le secteur de l’élevage que dans l’agriculture en général.

« Dernière roue du carrosse  »

L’élevage reçoit en moyenne 10% des dépenses agricoles. Autrement dit, l’effort public en direction de l’élevage dans les pays sahéliens tourne autour des 1% du budget national sur la période considérée. La faiblesse de l’investissement dans l’élevage confirme un relatif désintérêt des autorités pour ce secteur relégué au second plan des politiques agricoles, l’accent étant mis sur les cultures végétales d’exportation (arachide, coton), ou plus récemment, vivrières (riz). Un déséquilibre en faveur des productions végétales d’exportation.

Le sous-investissement dans l’élevage au regard de son poids économique et social témoigne d’un biais des politiques agricoles au sens large. Celles-ci restent globalement axées sur des enjeux de production végétale de rente et guidées par un biais urbain. Au-delà d’exercer un favoritisme pour les agriculteurs, les politiques publiques menées dans l’agriculture ont parfois accentué les pressions (notamment foncières) qui s’exercent sur les éleveurs, en encourageant par exemple l’aménagement de périmètres sur des zones de pâturage.

Le sous-investissement dans l’élevage s’observe ainsi en comparaison du soutien des gouvernements pour une filière agricole de premier plan comme le coton au Burkina Faso ou au Mali. Les chiffres montrent que le coton génère moins de richesse que l’élevage mais bénéficie de plus de soutiens publics.
Depuis les politiques de privatisation des services vétérinaires ont largement échoué. Ces services sont par exemple très peu assurés par les Etats, et ce malgré l’importance des revenus tirés de l’élevage. L’ Etat et les collectivités locales investissent très peu dans l’entretien et le renouvellement des infrastructures pastorales tels que les puits pastoraux.

Evolution positive

La part des dépenses consacrées à l’élevage tend à augmenter. Si l’on considère les valeurs, c’est vrai dans les quatre pays. Si l’on considère les proportions du budget agricole, c’est vrai dans tous les pays sauf au Burkina Faso. Autrement dit, on observe une tendance à la hausse de la part de l’élevage dans les dépenses agricoles. La hausse la plus importante a eu lieu au Mali où elle est passée de 4% à 18% des dépenses agricoles entre 2000 et 2010. Elles ont doublé au Niger et au Sénégal. Bien que modeste par rapport aux pays sahéliens, on note également une progression du soutien à l’élevage dans les pays côtiers.

Dans les programmes nationaux d’investissement agricoles du Burkina Faso et du Mali, l’élevage tient une place honorable et atteint près de 20% des investissements budgétisés. Il est trop tôt pour juger si ces investissements ont été ou seront réalisés. Dans le Programme Régional d’Investissement Agricole (Pria), 18% des investissements sont dédiés à l’élevage, et portent principalement sur l’environnement physique du pastoralisme (eau pastorale, couloirs de passage, lutte contre les feux) et le développement des chaînes de valeur (laiteries, abattoirs, marchés...). Difficile de dire aujourd’hui si ces financements planifiés ont été effectivement décaissés.

Birame Faye

Eléments extraits du document de travail N° 16, avril 2015
Bulletin de synthèse souveraineté alimentaire réalisé par inter-réseaux en partenariat avec l’ Association pour la promotion de l’élevage en Savane et au Sahel