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L’OBJECTIF DE L’AUTOSUFFISANCE EN RIZ PLOMBÉ

Publié le 24 juillet 2019

Ouestaf.com
Les modalités de choix des bénéficiaires des intrants subventionnés ne sont pas toujours clairement affichées. (Et) la liste des bénéficiaires appelés –gros producteurs – est composée de responsables politiques, de marabouts et de hauts fonctionnaires

Atteindre l’autosuffisance en riz, un des objectifs phares du Plan Sénégal émergent (PSE) de l’Etat Sénégalais, équivaut à une forte augmentation de la production. Un objectif qui pour le cas du Sénégal est rendu difficile par divers écueils comme la faiblesse des surfaces dédiées à la riziculture, l’aménagement des terres (voir article précédent). A ce lot, il faut ajouter la question des subventions, et particulièrement celles sur l’engrais.

A Mbagam, village d’agriculteur, situé à 19 km de Richard-Toll et chez les riziculteurs de la vallée du fleuve Sénégal, on ne cesse de se plaindre de la subvention de l’Etat sur l’engrais. L’initiative est jugée inopérante par les producteurs.

« Nous leur (au gens du gouvernement) avons dit de supprimer la subvention sur l’engrais et de la verser dans la production », indique le président de l’Union de Mbagam, Oumar Bouya Niang.

Selon lui, une subvention doit apporter quelque chose à l’agriculteur alors qu’actuellement ce n’est pas le cas. Car sur le marché l’engrais non subventionné est moins cher que l’engrais subventionné.

Ce que Oumar Bouya Niang ne dit pas, ou ne sait pas, c’est que le manque de transparence et le copinage politique plombent les effets attendus de la subvention.

Selon l’Initiative Prospective Agricole et Rurale (IPAR), la distribution des intrants est « disproportionnée », car les grands exploitants cultivant les superficies les plus importantes reçoivent la plus grande part de la subvention, tandis que la majorité des petits agriculteurs reçoivent de petites quantités.

Dans un rapport intitulé : « subvention des intrants agricoles au Sénégal : controverses et réalités », le Think tank IPAR soutient notamment que le système de distribution des intrants subventionnés « n’est pas transparent ».

Clientélisme politique
« Les modalités de choix des opérateurs bénéficiaires ne sont pas toujours clairement affichées. (Et) la liste des bénéficiaires appelés –gros producteurs – est composée de responsables politiques, de marabouts et de hauts fonctionnaires », expliquent les auteurs du rapport.

Subventionné à hauteur de 50%, le sac d’engrais revient à l’agriculteur à 8.000 FCFA, ce qui d’ailleurs est encore cher pour certains, soulignent quelques agriculteurs.

Il n’y a pas que dans le village de Mbagam qu’on se plaint de l’inefficacité de la subvention de l’engrais.

Rencontré dans les locaux de la Société nationale d’aménagement et d’exploitation des Terres du Delta et des Vallées du Fleuve Sénégal et de la Falémé (Saed) à Ross Béthio, Daouda Gueye est le président des agriculteurs privés de Dagana (nord). Lui aussi est favorable à la suspension de la subvention de l’engrais, estimant que les efforts de l’Etat doivent être centrés sur « la production ».

Ce qui va permettre aux producteurs de cultiver plus et d’augmenter les rendements, selon lui. En plus de la subvention, l’engrais reste introuvable pour certains. Pourtant, la quantité d’engrais concernée par la subvention de l’Etat sénégalais ne cesse d’augmenter, passant de 10.000 tonnes en 2014/2015 à 17.600 tonnes en 2017/2018, selon le Bureau opérationnel de suivi du Plan Sénégal émergent (Bos).

Déambulant au milieu de son champ, Samba Sow, agriculteur de 43 ans, fait également partie de ce lot.

« Voilà ma rizière (montrant celle-ci), depuis le début de l’année, je n’ai pas encore d’engrais », signale-t-il. Même constat chez le président de l’Union de Mbagam qui a reçu un quota de subvention « mais je n’ai pas encore reçu d’engrais ».

D’après une fiche d’informations sur l’engrais au Sénégal publiée par Africa Fertilizer et l’Association régionale des professionnels de l’engrais (Wafa, en anglais), le Sénégal a importé 118.209 tonnes d’engrais en 2018 pour une consommation d’engrais qui est ressortie à 175.138 tonnes la même année.

La production primaire d’engrais au Sénégal quand à elle, a été estimée à 588.212 tonnes en 2018, selon un rapport de AfricanFertilizer produit en 2019.

En 2006, l’Etat du Sénégal avait décidé, suite aux difficultés des Industries chimiques du Sénégal (ICS) d’assurer un approvisionnement régulier et suffisant du marché en engrais, de combler le gap grâce aux importations assurées par des opérateurs privés.

L’importation de l’engrais est gérée par les principaux importateurs et la distribution est faite par le ministère de l’Agriculture et de l’équipement rural (MAER) qui sélectionne les opérateurs, en principe, selon une procédure d’appel d’offre public.

Gouffre financier
Pour avoir le point de vue du gouvernement sur ces complaintes des agriculteurs et sur le contenu du rapport de l’Ipar, Ouestaf News a pris contact avec le ministère de l’Agriculture et de l’équipement rural (Maer) le 14 mai 2019 par téléphone. Le coordonnateur du Programme national d’autosuffisance en riz, M. Waly Diouf, a indiqué qu’il est « trop chargé » pour pouvoir répondre aux questions.

En attendant, le casse-tête de la subvention reste entier et demeure un vrai gouffre financier, qui peine à prouver son efficacité : entre la campagne agricole 2013/2014 et celle de 2018/2019, le montant est passé de 13,8 milliards FCFA à 19,75 milliards FCFA, selon des chiffres d’un conseil interministériel daté du 17 avril 2019.

Par ailleurs, selon une note de l’USAID (l’agence américaine pour le développement ) datée de 2011 et destinée au Maer, la politique de subvention rencontre plusieurs contraintes : manquements concernant le « dispositif de distribution de l’engrais » ; « l’insuffisance et la non-conformité sur le plan qualitatif » , le « manque de compétition dans l’octroi du marché », « inégalité dans l’accès pour les différentes catégorie de producteurs », « la non adéquation entre les recommandation de la recherche et les besoins des producteurs ».

Face à toutes ces critiques, le président sénégalais Macky Sall a demandé à son gouvernement de rectifier le tir pour la campagne agricole 2019/2020 et « de prendre toutes les mesures nécessaires, à la mise en place préventive et transparente des dispositifs et mécanismes de cession, de supervision, de contrôle et de distribution des semences et engrais subventionnés par l’Etat », selon le communiqué du conseil des ministres daté du 6 juin 2019.

Mais pour les agriculteurs, la solution passe plutôt par une libéralisation de la commercialisation de l’engrais, parce qu’ils ne veulent pas d’intermédiaires entre eux et les fournisseurs.

« Si la subvention est supprimée, même si ils (les fournisseurs) nous vendent l’engrais à 10 mille FCFA, c’est bon. Nous allons l’acheter », a indiqué Samba Sow.

« L’engrais, ce sont les agriculteurs qui le consomment donc c’est nous qui devons choisir qui doit nous le vendre », a souligné M. Niang, tout en indiquant que l’Etat du Sénégal doit écouter les acteurs de la filière riz.

Article partagé par : seneplus.com