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Accès à la terre : L’héritage, le mode dominant au Sénégal

Publié le 26 mars 2018

Le rapport sur les « critères et conditions pour une gouvernance foncière rationnelle et durable » a été validé à l’Institut sénégalais de recherches agricoles (Isra). Il ressort de cette enquête que le mode dominant pour l’accès à la terre au Sénégal est l’héritage.

L’étude sur l’élaboration de « critères et conditions pour une gouvernance foncière rationnelle et durable par zone éco-géographique au Sénégal », fait ressortir que le mode dominant dans l’accès à la terre au Sénégal est l’héritage. Ce travail a été réalisé par l’Institut sénégalais de recherches agricoles (Isra) et l’Ecole nationale supérieure d’agriculture (Ensa). Financé par la Fao, il a été mené dans 42 départements du pays pour un total de 600 villages. Les résultats de l’étude ont été partagés lors d’un atelier de validation. 2.752 ménages ont été interrogés dans les zones concernées. Selon le coordonnateur de l’étude, le Dr Tamsir Mbaye, l’enquête a révélé que « la loi sur le domaine national de 1964, qui régit 95% des terres du pays, est incomprise par la majorité des acteurs ».

En effet, même si l’héritage reste le mode dominant, il y a d’autres modes d’accès au foncier dans ces zones, comme l’affectation et l’emprunt. La location des terres est aussi une pratique qui est de plus en plus exercée dans les localités parcourues par les enquêteurs de l’Ensa et de l’Isra. L’achat de terres, d’après l’étude, reste très faible au niveau national avec moins de 1% des ménages.

Même si l’accès dominant au foncier est donc l’héritage, les femmes sont souvent exclues de la cession. D’après l’étude, elles accèdent à la terre plus par affectation et emprunt. Les jeunes de moins de 35 ans sont aussi oubliés. Pour corriger ces manquements, le rapport recommande la réduction ou l’élimination de toutes les barrières sociales dans l’héritage des terres.

Exclure toute idée de marché du foncier

L’étude montre aussi qu’il y a une « connaissance faible des textes relatifs au foncier, des acteurs du foncier et des outils de gestion foncière. C’est pourquoi, dans ses recommandations, l’enquête propose une « amélioration du niveau de connaissances des textes relatifs au foncier » à travers la sensibilisation, l’information et la formation des différents acteurs. Le directeur général de l’Isra, le Dr Alioune Fall qui a présidé l’atelier de validation de cette étude, a rappelé que le président de la République, Macky Sall, a fait de la réforme foncière une priorité. En effet, les ressources foncières jouent un rôle important dans le développement économique du pays. Le Dr Alioune Fall a constaté que « les politiques, les législations et les règles de gestion actuelles ne semblent pas favoriser un accès équitable au foncier pour tous les acteurs ».

Selon lui, une telle situation pourrait défavoriser certains groupes sociaux, compromettre la gestion durable des ressources foncières et, peut-être, celle de plusieurs formes de production, avec comme conséquences des répercussions pouvant s’étendre à la sécurité alimentaire et à la pauvreté des populations. Aujourd’hui, une réforme du foncier s’impose pour une gestion rationnelle et durable de la ressource. En attendant cette réforme, souligne le Dr Alioune Fall, l’Etat du Sénégal essaie de promouvoir « la coexistence entre l’agrobusiness et les exploitations familiales, en excluant toute idée de marché du foncier ».

Tamsir Mbaye, coordonnateur du projet : « Réformer le foncier pour être en phase avec le développement socio-économique actuel »

Que peut-on retenir de l’étude sur l’élaboration de « critères et conditions pour une gouvernance foncière rationnelle et durable par zone éco-géographique au Sénégal » ?
Après cette étude, nous retenons principalement trois choses : une méconnaissance notoire des textes relatifs au foncier, des outils de gestion foncière et du foncier par les populations locales. On retient également que l’accès au foncier est difficile pour les femmes et les jeunes et que les répondants disposent de terres sans titre à 93%. Cette absence de document attestant de la propriété est un risque majeur pour eux dans une perspective de perte de terre. Il y a une corrélation forte entre la détention de titre et le risque de perte. L’autre élément est la sécurisation foncière qui n’est pas assurée au niveau rural pour beaucoup de répondants.

Est-ce à dire qu’une réforme foncière s’impose ?
Une réforme foncière s’impose parce que les lois qui régissent le foncier datent de 1964, principalement avec la loi sur le domaine national. Depuis, le Sénégal a connu une évolution notoire sur tous les plans. Ce qui fait qu’on doit réformer le foncier pour être en phase avec le développement socio-économique actuel et prendre en compte les défis actuels et futurs dans la perspective de cette réforme. Mais, cette réforme foncière devra prendre en compte les réalités socioculturelles du Sénégal et les besoins socio-économiques actuels surtout la place des femmes et des jeunes.

L’étude a montré que les femmes et les jeunes sont lésés dans l’accès au foncier. Que faut-il faire pour permettre à ces deux couches de disposer du foncier pour mener à bien leurs projets ?
Pour remédier à ce faible accès des jeunes et des femmes à la terre, il faudra juste appliquer les principes citoyens d’accès à la terre. La loi a un caractère général et impersonnel. Aussi bien l’homme que la femme, aussi bien le jeune que le vieux, l’accès à la terre leur permet de développer des activités socio-économiques pour leur bien-être.

L’accès dominant à la terre dans les zones que vous avez visitées est l’héritage. Que faire pour que les nationaux qui ont besoin de lancer des projets puissent accéder à la terre ?
Nous avons fait cette étude sur le plan scientifique. Aujourd’hui, la nécessité absolue est de revoir les modes de gestion d’accès et de sécurisation des terres pour le bénéfice exclusif du citoyen sénégalais. Il faut que se manifeste la volonté politique de prendre les mesures qui s’imposent pour faciliter l’accès au foncier à ces groupes. Mais, si on applique les textes, il ne doit pas y avoir de discrimination entre hommes et femmes, jeunes et vieux.

Dans le monde rural, il y a beaucoup de conflits entre agriculteurs et éleveurs. Cela est-il ressorti dans votre étude ?
Les conflits entre agriculteurs et éleveurs sont bien ressortis dans l’étude et y occupent une place assez importante. 33% des répondants parlent de conflits liés à l’absence d’organisation spatiale. Il n’y a pas de cadastre rural ni de généralisation des plans d’affectation et d’occupation des sols qui feraient que l’organisation spatiale est discutée collectivement. A priori, quand c’est discuté collectivement, l’application des dispositions est plus facilitée.

Propos recueillis par A. Ng. NDIAYE
Source : lesoleil.sn