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spore.cta.int - Maraîchage : lever les barrières au changement

Publié le 6 septembre 2018

Dans son ouvrage La multifonctionnalité de l’agriculture “péri-urbaine” au Sénégal, Sidy Tounkara, docteur en sociologie de l’université de Toulouse 2 - Jean Jaurès, montre combien l’adoption de pratiques techniquement validées se heurte à des résistances socioculturelles.
Dr Sidy Tounkara

Pourquoi avoir choisi de travailler sur le maraîchage sur ce territoire ?

Le choix de Dakar remonte à 2010, quand j’ai eu la chance de participer au programme international Intensification écologique des systèmes agricoles par le recyclage des déchets (ISARD), porté notamment par le Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (CIRAD) et l’Institut sénégalais de recherches agricoles (ISRA). J’ai alors découvert les conditions auxquelles les maraîchers sont confrontés. Ils présentent eux mêmes l’intégration des déchets organiques dans le système productif maraîcher à Dakar d’une part comme une forme d’adaptation aux contraintes du milieu périurbain fortement anthropisé, d’autre part comme une manière de s’inscrire dans la dynamique d’écologisation qui touche l’agriculture en général.

Existe-t-il une spécificité de l’agriculture périurbaine sénégalaise ou, plus largement, africaine ?

Je ne le pense pas. De façon générale, l’agriculture périurbaine est multiple, allant du micro-jardinage, qu’on pourrait qualifier de maraîchage hors-sol, au maraîchage conventionnel. Selon les localisations géographiques en termes de gradient urbain, l’ampleur et l’intensité des contraintes diffèrent. Dans les pays dits en voie de développement, l’agriculture en ville est souvent une réponse à la pauvreté urbaine et au chômage alors que, dans les pays dits développés, elle est plus un moyen de restaurer le lien avec la nature, rompu par l’urbanisation et l’industrialisation. Mais, avec les crises économiques et financières, elle y devient aussi un moyen de lutte contre la précarité alimentaire quand la question environnementale est de plus en plus présente dans les pays du Sud, y compris pour renouer le contact avec la nature à travers des espaces verts – agricoles ou pas – en ville. Finalement, pays du Sud et du Nord se rejoignent donc sur les principales finalités de l’agriculture en ville, mais le niveau d’accompagnement politique reste différent selon les pays.

Le lien se fait-il aisément entre les travaux des scientifiques et leur mise en œuvre concrète sur le terrain  ?

Tout un processus et un ensemble de conditions sont nécessaires pour inciter les destinataires des résultats de recherche à se les approprier. Il n’y a même pas de lien mécanique entre la prise de conscience des avantages économiques d’une nouvelle façon d’assurer la fertilisation organique et le passage à l’acte. Le contexte socioculturel, les contraintes de l’innovation elle-même, l’absence d’accompagnement politique de l’innovation freinent son adoption. À cela s’ajoute l’effet de la routine, force contraire au changement qui s’accompagne de risques que les maraîchers ne sont pas toujours prêts à prendre. Tous ces éléments de blocage sont apparus pour la valorisation agricole des déchets organiques dans le maraîchage à Dakar. C’est pourquoi il est important de poursuivre le travail sur le terrain. Pour cela, l’IPAR (Initiative prospective agricole et rurale) offre un cadre adéquat aux chercheurs en assurant aussi le dialogue multi-acteurs et la formation.

Les points clés du succès ne sont-ils pas finalement plus culturels que techniques  ?

En tout cas, les facteurs socioculturels pèsent lourd dans la balance. Le succès passe nécessairement par l’acceptabilité des déchets dans le système productif maraîcher en plus de l’importance de facteurs techniques comme la restauration de la fertilité des sols. La trajectoire socioprofessionnelle des maraîchers montre qu’ils viennent en majorité des campagnes sénégalaises où ils ont déjà vécu l’expérience de valorisation des déchets organiques. Donc, culturellement et professionnellement, ils étaient prédisposés à utiliser ces produits car leurs processus de socialisation primaire et secondaire les ont familiarisés avec les fertilisants organiques. Cependant, pour certaines matières organiques, malgré le fait qu’elles soient de “bons” fertilisants, la barrière culturelle et religieuse se dresse contre leur adoption.

Source : spore.cta.int

La multifonctionnalité de l'agriculture « péri-urbaine » au Sénégal. Intégrer les déchets organiques dans le système productif maraîcher. Par S. Tounkara L'Harmattan, 2017, 318 p. ISBN : 978-2-343-13660-8