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Concertations locales sur la gouvernance du foncier et des ressources naturelles dans les zones éco-géographiques du Sénégal

Publié le 27 février 2018

Du 24 janvier au 23 février 2018, des concertations ont été organisées dans les six zones agroécologiques du Sénégal. Elles se sont tenues respectivement à Mboro (Zone des Niayes), à Kidira (zone Sénégal Oriental), à Sédhiou (zone de la Casamance), à Dahra (zone sylvo pastorale) à Ross Béthio (zone de la Vallée du Fleuve Sénégal) et à Foundiougne (Zone du Bassin arachidier).

Ces activités entrent dans le cadre de la phase de formulation de la Stratégie Nationale d’Engagement sur le foncier (NES) au Sénégal déroulée par les membres de ILC au Sénégal notamment l’IPAR, en tant que coordonnateur du processus, CICODEV-Afrique, IED-Afrique et le CNCR, en tant que plateforme nationale des organisations paysannes.

Le NES au Sénégal s’appuie sur et appuie la dynamique collégiale et multi acteur enclenchée depuis longtemps au sein du Cadre de Réflexion et d’Action sur le Foncier (CRAFS) initié depuis 2010 dans un contexte d’accaparement des terres et au sein de la Plateforme Nationale Directives Volontaires sur la Gouvernance Foncière (PN DV/GF) dont la spécificité est d’être un cadre fédérateur qui regroupe l’Etat, la société civile et les autres acteurs.

Elles ont également permis notamment à Kidira, Sédhiou et Foundiougne, de poursuivre la dissémination des principes des Directives Volontaires pour une gouvernance foncière responsable des régimes fonciers applicables aux terres, aux forêts et aux pêches mises en oeuvres par la Plateforme Nationale en collaboration avec la FAO.

Ces rencontres réunissant une cinquantaine de participants représentant les différentes catégories d’acteurs dont l’Etat, les élus locaux, les organisations paysannes, les organisations de plaidoyer ont permis de poursuivre la dissémination des principes des directives volontaires pour une gouvernance des régimes fonciers applicables aux terres, aux forêts et aux pêches. Elles ont également permis de revenir, dans le cadre de la recherche d’engagement des acteurs sur le foncier, sur la perspective de réforme foncière en partageant les conclusions du document de politique foncière nationale lequel est discuté depuis octobre 2016, le document de contribution de la société civile au processus de réforme qui est élaboré au sein du CRAFS et remis au Président de la Commission Nationale de Réforme Foncière (CNCR) en avril 2016, l’analyse croisée entre le document de politique et celui de la contribution de la société civile en revenant sur les points de convergence et de divergence et en recueillant les éléments de législation pour préparer la prochaine étape. En effet, la CNRF mise en place depuis 2012 a été dissoute depuis mai 2017, plongeant le processus dans une incertitude quant à sa poursuite et son achèvement. Elle a élaboré, dans un effort national qui a mobilisé beaucoup d’acteurs à l’échelle du pays (45 ateliers départementaux, 108 réunion, 38 000 participants) un document qui consigne les consensus dégagés avec tous les acteurs en termes de propositions pour une réforme foncière au Sénégal. Ce document de politique n’est qu’une étape. La prochaine, plus décisive, consistera en la transformation des principes retenus en actes législatifs et règlementaires. Avec la suspension de la CNCR, les acteurs manquent de visibilité sur cette seconde étape.

La phase de formulation du NES est une opportunité de mobiliser l’ensemble des acteurs y compris ceux qui sont les plus éloignés et qui sont souvent marginalisés. D’ailleurs, l’une des rencontres s’est tenue à Kidira, ville frontalière avec la République sœur du Mali située à plus de 650 km de Dakar.

A travers ces rencontres, les participants représentant différents intérêts ont procédé à l’inventaire participatif de leurs propres enjeux fonciers touchant à différents segments notamment les terres agricoles, pastorales, minières, forestières, halieutiques etc.

Au Sortir de ces rencontres, quelques enjeux forts sont ressortis d’une manière, plus ou moins, homogènes :
-  limites entre collectivités locales et villages,
-  les difficultés causées par l’Acte III de la décentralisation,
-  l’absence de moyens adéquats pour la mise en œuvre de la loi,
-  l’existence de compétences au niveau des collectivités locales pour assurer une bonne gouvernance du foncier et des ressources naturelles
-  le développement des activités minières sur les terres agricoles et ses implications sur la sécurité alimentaire,
-  l’érosion éolienne mais surtout fluvial avec le déplacement de chaque année de maisons situées dans les berges du fleuve Sénégal,
-  la dégradation des forêts surtout avec l’installation des scieries dans les zones forestières avec le développement de l’esprit mercantiliste chez les populations,
-  l’absence d’outils de planification spatiale permettant d’organiser ou même si ces outils existent-ils ne sont pas respectés, ce qui gère le plus souvent de conflits de plus en plus récurrents entre acteurs concurrents notamment les agriculteurs et les éleveurs,
-  la survivance de la gestion foncière coutumière qui aboutit à la marginalisation de la femme en termes de contrôle de la terre et même si la Casamance était citée en exemple où les femmes contrôlaient les bas-fonds, il est ressorti que ces dernières sont en train d’abandonner leur champ à cause de l’avancée de la salinisation des terres et de la divagation, surtout de nuit, des troupeaux,
-  le constat de la marginalisation des communautés locales au profit d’investisseurs venus d’ailleurs du pays (élites politiques, administratives, maraboutiques, privés nationaux) et de l’étranger.
-  la proposition de considérer la terre comme un apport en nature dans le cadre des investissements agricoles, ce qui permettrait d’avoir un rapport Win/Win de nature à permettre aux communautés qui accueillent les projets de pouvoir conserver et consolider leurs moyens de vie, de survie et d’existence durablement,
- etc.

Ces rencontres ont permis de proposer, d’une manière participative, un certain nombre d’éléments à prendre en compte dans le cadre de la nouvelle réforme :
-  la décentralisation de la question foncière jusqu’au niveau village avec la mise en place d’une commission composite autour du chef de village,
-  l’implication du chef de village dans la transmission de la demande de terre à la collectivité locale,
-  la nécessité d’avoir un quitus délivré par le propriétaire coutumier, pour toute demande qui concerne ses terres,
-  la promotion de la contractualisation avec les propriétaires terriens à la place de l’affectation définitive de leurs terres à des investisseurs
-  la fixation d’un seuil d’affectation (détermination d’une quantité de terres à ne pas dépasser dans le cadre d’une affectation de terres en partant d’un indexe de saturation foncière calculé sur la base du ratio Population/terres disponibles).

Verbatim

Représentant du Maire de Kidira :
« Nous saluons la démarche d’inclusion qui a animé ce processus de formulation de la Stratégie Nationale d’Engagement du foncier au Sénégal. Très souvent, les activités se tiennent dans les lieux accessibles, mais vous avez tenu à impliquer les Sénégalaises et Sénégalais des profondeurs en bravant la distance, la poussière et les routes gâtées. Nous vous remercions pur avoir fait 650 km pour nous associer dans le cadre d’une synergie nationale.  »

M. Sankoung SAGNA, Maire de Oudoucar et Président de l’Association des Maires de Sédhiou (AMS) :
« Les principes des Directeurs volontaires donnent l’orientation que nous voulons pour une gouvernance du foncier rural inclusive. Il faut davantage délocaliser la diffusion de ces Directives volontaires ainsi que des activités de renforcement de capacités sur toutes les questions liées au foncier, mais aussi nous accompagner à mettre en place d’une Plateforme qui réunit tous les acteurs du foncier, comme vous l’avez montré ».
M. Sagna soutient également la nécessité d’approfondir les réflexions autour de l’Act3 de la décentralisation allant dans le sens de délimiter le foncier des villages et des communes et d’élaborer des plans d’occupation des sols pour identifier et sécuriser les parcours pastoraux.

Mme Binetou BADJI Présidente du réseau des Maisons familiales
« Dans ma commune de Thionk Essil, en Casamance dans la zone du blouffe, l’utilisation de filets de pêche avait provoqué un conflit entre pêcheurs maliens et jeunes habitants du village de Thionk Essil au point que 5 jeunes ont été arrêtés par les forces de l’ordre. Il a fallu le déplacement à Thionk Essil de l’Ambassadeur du Mali au Sénégal pour que les choses se calment après un dialogue. C’est dire combien la gouvernance des ressources même dans des coins reculés peut affecter la stabilité de deux pays ».

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Chérif Sambou Bodian
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